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Letttre du 27 janvier 2003

Chers amis fidèles, anciens et nouveaux,

Certains d’entre vous, impatients ou même un peu jaloux, nous ont manifesté une sorte d’étonnement à n’avoir pas été les premiers informés de nos présent, passé et avenir, par notre rituelle lettre annonciatrice. Et de s’être ainsi vus devancés par la presse.

C’est vrai, nous avons tardé. Sans cesse, nous remettions ce courrier pour avoir plus de nouvelles à vous donner, encore plus fraîches, plus décisives. Et ce qui devait arriver est arrivé : les journaux vous ont avertis avant nous. Pardon. Cela ne se reproduira pas.

Donc, voici de nouvelles nouvelles. Commençons par les bonnes :

1) Une cinématographique :

Après avoir totalement terminé notre tournée autour du monde en Australie, nous avons aussi terminé notre film « Tambours sur la digue ». Le DVD est donc prêt et déjà en vente chez nous, au théâtre. À partir du 13 février, jour de sa diffusion sur ARTE, vous pourrez vous le procurer partout ailleurs.
Que vous dire sur ce travail sans avoir l’air de nous jeter des fleurs ? Que nous l’aimons, tout simplement, et que nous espérons qu’il vous surprendra.

2) Une pédagogique :

À la fin de l’été dernier, pendant que beaucoup d’entre vous profitaient encore des dernières chaleurs estivales, nous recevions ici pour un stage de deux semaines, plus de 400 jeunes et moins jeunes comédiens (après en avoir rencontré 1200). Nous nous autorisons à penser que ces deux semaines furent pour tous, apprentis et pédagogues, riches d’apprentissage et intenses d’émotions et de travail. Quatre-cent quatorze personnes, de 43 pays (Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Biélorussie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Colombie, Corée, Egypte, Espagne, Etats-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, Grande-Bretagne, Grèce, Inde, Iran, Irak, Irlande, Israël, Italie, Japon, Kurdistan, Macédoine, Maroc, Mexique, Népal, Pérou, Pologne, République de Chine (Taiwan), Suisse, Tchéquie, Togo, Tunisie, Turquie, Ukraine, Uruguay, France et ses territoires d’Outre-Mer) ont vécu et travaillé ensemble à chercher le Théâtre. À l’issue de ce stage, nous avions 12 nouvelles recrues !
Le Théâtre du Soleil compte donc maintenant 36 comédiens.

3) La plus importante ! Celle que vous savez déjà, mais que vous attendez quand même : notre prochain spectacle ! Il s’appellera :

Le Dernier Caravansérail
(Odyssées)


Et commencera le
Mercredi 2 avril 2003 à 19h30

Et maintenant, comme toujours, vous allez nous demander : « Que racontent-elles ces Odyssées ? » Or, vous savez bien que nous n’avons jamais réussi à vous dire à l’avance ce que racontent nos spectacles, puisque nous tenons tant à garder la surprise, que chaque fois que nous essayons de tout vous raconter sans rien vous dire, évidemment, nous sommes confus, filandreux et tordus, voir même hypocrites !

Laissons donc plutôt la parole à Hélène Cixous :

Au commencement de nos mémoires il y eut la Guerre. L’Iliade en fit un récit. Après la Guerre : l’Odyssée.
Ceux qui ne sont pas rentrés au pays, ni vivants ni morts, errent longtemps par toute la terre.
Aujourd’hui, de nouvelles Guerres jettent sur notre planète des centaines de milliers, des millions de nouveaux fugitifs, fragments de mondes disloqués, bribes tremblantes des pays ravagés dont les noms ne signifient plus abri natal mais décombres ou prisons : Afghanistan, Iran, Irak, Kurdistan …, la liste des pays empoisonnés augmente chaque année.
Mais comment raconter ces odyssées innombrables, se demande le personnage troublé de notre metteur en scène ?
Combien de nouveaux petits théâtres faudrait-il inventer pour donner à chaque destin affolé son éphémère hébergement ?
Mais comment notre théâtre peut-il transporter ces coquilles de théâtres et ces brins d’êtres humains sur son océan de bois et de toiles ? C’est tout un peuple occasionnel d’étrangers disparates et menacés que forment ces atomes fuyant sous les rafales politiques, dans nos siècles cousus de fils barbelés.
« Qu’allons-nous devenir ? » disent ceux qui ont laissé leur nom, leur famille, leurs racines très loin derrière eux, que l’on appelle « réfugiés », « clandestins », « sans papiers », « migrants ». Et qui s’appellent entre eux, noblement, les « voyageurs ». Ils sont brutalement voyagés « contenus » dans des cales et des camions, faufilés aux frontières, et ils ne savent pas où et quand finira ce voyage dangereux qui les pousse de port en côte et de porte en porte à mesurer la maigreur de l’hospitalité contemporaine.
Ils voyagent, sans espoir et sans fin, mais animés par la croyance. Au lieu de religion une foi naïve en l’existence d’un pays où vivent les déités démocratiques dont on leur a parlé : la liberté, le respect.
Où donc est ce pays ? Où arriveront-ils ? Quand arriveront-ils ? Arriveront-ils jamais ?
Et nous, assis dans nos pays relativement modérés, qui sommes-nous ? leurs semblables ? leurs témoins ? leurs ennemis ? leurs amis ? D’anciens voyageurs qui ont oublié ? Ou des gens que le voyage attend au tournant ?


Ce spectacle se compose de tant de fragments de vies, de tant de visions, de tant d’histoires, de tant de personnages, donc de tant de scènes, qu’il serait impossible de vous les jouer toutes en une seule soirée, ou même en deux, ou même en trois, ou peut-être même en une semaine !
Et puis, pour tout vous avouer, rien ne dit que nous ne continuerons pas au cours des représentations, à raconter d’autres chapitres de ces odyssées. Tout nous dit même le contraire !

Voilà qui ne va pas nous simplifier la vie, ni à vous ! En effet, on peut d’ores et déjà penser que le spectacle ne sera chaque semaine, ni jamais totalement le même, ni jamais totalement fini. Au fond, un peu comme Les Mille et une Nuits, si vous voyez ce que nous voulons dire…

Mais, pas de panique, nous trouverons une astuce pour vous avertir de chaque degré de son évolution. En effet, au bout d’un mois il sera tout à fait un autre, et un mois plus tard un autre encore. Nous aurons alors, non plus un seul spectacle mais trois ! En alternance et changeant peut-être encore !

Si les dieux du théâtre le veulent, et si vous le voulez, nous les jouerons à la Cartoucherie jusqu’à la fin du mois de juin. Puis :

4) Une estivale :

Le Théâtre du Soleil sera au Festival d’Avignon du 9 au 28 juillet, au Parc des Expositions à Châteaublanc.

5) Une automnale :

Toujours si les dieux le veulent, nous reviendrons ensuite dans notre Cartoucherie pour continuer les représentations de nos trois spectacles.

6) Une juvénile et printanière, pleine d’espoir et de promesses :

En mai, le Théâtre du Soleil, avec l’aide de toute la Cartoucherie, accueillera de jeunes troupes qui, à l’aube de leur aventure, viendront y faire leurs "Premiers Pas", probablement sous chapiteau. Nous joignons à la présente missive quelques informations sur ce « bébé-festival » et le texte magnifique de Jacques Copeau qui, sans aucun doute, peut leur servir de manifeste.

7) Une bassement matérialiste :

À propos du prix des places ! Permettez-nous de rappeler que, certes, une troupe vit d’art, d’amour, d’amitiés et d’eau fraîche mais… Pas seulement !

La recette ! Le tiroir-caisse ! L’argent !

Il s’agit là de la condition sine qua non de notre travail, il s’agit là de l’existence, de la survie du Théâtre du Soleil. Les recettes générées par la billetterie et les tournées représentent 60 % de nos ressources (la seule subvention que nous percevons est celle du Ministère de la Culture, qui couvre les frais de notre troupe (70 personnes) tout juste pendant quatre mois. L’Etat nous aide, mais c’est vous qui nous faites vivre et travailler.

Voilà pourquoi nous ne pratiquons aucune braderie, ni soldes d’aucune sorte sur le prix de nos billets, (même si, bien sûr, nous restons, comme toujours, à l’écoute des cas très particuliers et difficiles). C’est pourquoi, puisque, nous le savons, vous nous estimez (et même parfois, nous osons le penser, vous nous aimez) nous vous demandons de nous comprendre.
Vous constaterez d’ailleurs, que nous n’avons pas suivi la hausse de prix de l’année dernière, et que nous sommes restés au plus près des tarifs que nous vous proposions il y trois ans (entre +0,5 % et +1 % d’augmentation).
Quelques chiffres qui parlent d’eux-mêmes pour éclairer notre situation :
La subvention du Ministère de la Culture : 1.173.875 € (7.700.000 Frs.)
Le salaire net mensuel (le même pour tous, sauf les stagiaires) : 1.677 € (11.000 Frs)
Le salaire net mensuel des stagiaires : 1.296 € (8.500 Frs)
Au total, 70 personnes, dont en moyenne 10 stagiaires, plus charges sociales et frais de fonctionnement : 293.000 € (1.922.000 Frs) par mois. En 4 mois, la subvention est mangée !

Les mauvaises nouvelles maintenant :
8) Oh…Et puis après tout... Les mauvaises nouvelles n’ont pas d’allure face aux bonnes, donc nous ne vous en parlerons pas.


Voilà, chers amis.
Nous devons maintenant retourner travailler, et comme « les adieux doivent être brefs », nous vous disons :

À très, très bientôt, à tout de suite même et Bonne Année !


Le Théâtre du Soleil


PS : Merci à celles et ceux qui nous ont envoyé des timbres (cf. notre lettre du 21 octobre 2001) et qui continuent à le faire. Si, par hasard, ce courrier vous arrive sans votre enveloppe, c’est que, tout simplement, votre timbre a servi pour un autre envoi, et donc que l’économie est faite.
N’oubliez pas que notre site est là, 24h/24h (presque comme nous !).

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