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Lettre du 4 janvier 2006

Chers amis, chers citoyens, anciens et modernes, jeunes et moins jeunes, familiers ou aux noms, pour nous, encore non identifiables (pour nous sans image), vous qui nous aimez un peu, beaucoup, parfois pas du tout ou même souvent passionnément, qui rêvez comme nous, ou qui, comme nous, ne rêvez pas, qui, comme nous, espérez, ou désespérez, vous qui êtes en deuil comme certains parmi nous, ou nouveaux amants comme certains autres, malades et hors de vous, ou forts et calmes, vous qui aimez le monde autant que nous l'aimons et que ce même monde indigne autant que nous, vous qui combattez, mais et qui, un jour, baissez les bras , tout à fait comme nous, vous qui vous résignez et qui soudain, comme nous, ne vous résignez plus, vous, notre Public, grâce à qui nous sommes ce que nous sommes et pour qui nous faisons ce que nous faisons. Voici ce que nous nous souhaitons Pour l'Année qui déjà ouvre un œil d'une couleur inconnue et qui nous dévisage et nous envisage et nous attend, voulez-vous savoir ce que, fiévreusement, nous nous souhaitons à nous-mêmes ? Eh bien, voilà : 
nous nous souhaitons d'oser toujours tenter de distinguer le fertile du stérile, le juste de l'injuste, le doux du mou, le généreux du démagogue ou du lâche, le courageux du brutal, le mystique du sectaire, le moral de l'intolérance, l'exigence de l'exploitation, la rigueur de la répression, le simple du simplisme, la bienveillance de l'indifférence, l'enthousiasme de l'agitation superficielle, le joyeux du béat, la victime du bourreau…

(Vous pourriez continuer cette liste …)

Nous nous souhaitons de savoir reconnaître les victoires et de les célébrer, même les plus petites, même les plus éphémères , puisque le propre même de la v ictoire est d'être un jour, inéluctablement, suivie d'une défaite. 
Nous nous souhaitons de savoir reconnaître cette défaite mais sans nous y complaire, sans la couronner Déesse invincible de l'Avenir et nous mettre à l'idolâtrer et lui faire justifier tous nos abandons . 
Tout cela, si vous l'acceptez, nous vous le souhaitons ardemment, affectueusement. Avec ces vœux, recevez aussi toute notre reconnaissance pour le déjà si long chemin parcouru ensemble. Vous faites partie de notre vie.
Et maintenant, aux nouvelles !

1) Une extraordinaire :
Vous vous souvenez de nous à Kaboul en juin ? Le Teatr Aftab ? Oui, souvenez-vous, le Théâtre du Soleil afghan. Eh bien ! Ils arrivent. Oui, ils viennent continuer leur formation pendant deux mois chez nous. Vous imaginez-vous l'état d'excitation, de joie dans lequel sont ces jeunes gens (trois femmes seulement pour l'instant, mais c'est déjà un petit miracle) à l'idée de passer ce moment en Occident, en Europe, en France, eux qui n'ont, pour la plupart, jamais connu autre chose que la guerre et le chaos afghans ? Ils logeront à la Cartoucherie, travailleront huit heures par jour, avec nous bien sûr, mais aussi avec différents maîtres à qui nous avons déjà fait souvent appel pour nous-mêmes.

2) Une interrogative :
Qui finance, allez-vous nous demander ? Eh bien, justement, c'est le problème ! Pour l'instant, c'est nous, le Théâtre du Soleil. Rien que nous. Et ce n'est pas exactement ce qu'il nous faudrait en ce moment !
L'ambassade de France en Afghanistan nous a cependant beaucoup aidés en accordant gratuitement les visas et en payant les 20 billets d'avion. Sans ce secours très important, rien n'aurait été possible, nous sommes donc très reconnaissants envers tous ceux qui, là-bas, ont œuvré à ce voyage avec beaucoup de bienveillance. Mais pour le reste, que dalle ! Pas un kopeck ! De nulle part. Pour le moment. Espérons de bonnes nouvelles.

3) Une, qui, justement, ne manque ni d'espérance ni, avouons-le, de toupet :
Mais, s'il n'y a pas de bonnes nouvelles, pourquoi n'oserions-nous pas demander de l'aide à nos spectateurs ? Pourquoi ne leur dirions-nous pas : 
- Pouvez-vous nous aider, en faisant partie d'une sorte de comité de mécènes, qui apporterait, sinon tout, du moins une partie de ce qu'il nous faut pour payer la location des baraques de chantier (améliorées par nos soins, rassurez-vous) dans lesquels ils seront logés, leur nourriture, et les salaires des professeurs étrangers ? 
Voilà. C'est dit. Pour la première fois, nous avons osé vous demander directement une aide financière autrement qu'en vous priant de bien vouloir payer vos billets à prix équitable, comme votre café. Nous osons, poussés par la nécessité impérieuse de ne pas les décevoir, mais aussi de ne pas nous mettre financièrement encore plus en difficulté que nous ne le sommes déjà. Il suffit pour cela de nous envoyer un chèque à l'ordre du Théâtre du Soleil, avec au dos la mention : Soutien au Théâtre Afghan. Vous recevrez alors un reçu et le budget prévisionnel. Puis, à la fin de leur séjour, les comptes. Si bonne nouvelle il y avait, nous vous renverrions vos chèques. Simple. 
Avouons que certains, chez nous, n'y croient pas : 
- On va se faire gronder et nous ne récolterons que des clopinettes ! (sic) 
Ceux qui vous écrivent y croient, eux. Nous allons bien voir.

4) Une récurrente et très agaçante :
De nouveau, on nous fait craindre la suppression de la subvention pour notre site dédié aux lycéens de première et terminale qui, pour la troisième et dernière année, ont le Théâtre du Soleil au programme. C'est quand même un comble. Alors que ce site est notoirement apprécié des professeurs et des élèves, on cesserait de payer le salaire de la personne qui le nourrit, le fait évoluer et vivre, avant qu'il ait terminé sa mission auprès des futurs bacheliers.

5) Une réjouissante :
Le Film ! Notre film ! Ça avance, il se monte. Rendez-vous sur ARTE en … mai… ou septembre ?

6) Une rénovatrice :
Ceux qui, parfois, sont sur la liste d'attente et qui connaissent bien notre petit foyer, vont voir comme il est redevenu beau et accueillant. Notre bureau aussi, mais vous en profitez moins.

7) Une enthousiaste :
Le festival Enfants de Troupes - Premiers Pas a été joyeux, formateur, travailleur, studieux, révélateur de talents et de désirs. Le public y a vu de nombreuses promesses. Nous sommes contents. Rendez-vous est pris pour l'année prochaine.

8) Une urgentissime, sympathiquissime :
Les Iraniens ! Ils arrivent, ils sont là ! Nous aurions peut-être dû commencer par eux, pour que vous vous précipitiez sur votre téléphone car c'est le 11 janvier (c'est-à-dire demain !) qu'ils commencent à jouer chez nous le spectacle qu'ils n'ont plus le droit de jouer chez eux. Vous verrez pourquoi dans le très beau film qui raconte leur histoire et que nous projetterons en première partie de la soirée. 
Vous trouverez au dos de ce courrier toutes les informations nécessaires sur ces savoureuses représentations.

9) Une, un peu moins urgente, mais … corse !
Myriam Azencot, une ancienne, une grande ancienne, "historique" du Soleil, a monté un spectacle avec des acteurs corses en Corse. Drôle. Cocasse. Acide. Eclairant. "Histoires de Famille" de Biljana Srbljanovic. Pas de panique, c'est simple, cela se prononce : Biliana Serblianovitch. Un grand écrivain serbe. 
Toutes les informations nécessaires sur ces représentations sont aussi au dos de ce courrier .

10) Une explosive :
Les dernières représentations du Caravansérail sont complètes. Ça rouspète, ça rouspète dur. Les téléphones sursautent, tressautent, sifflent, aboient même parfois, gémissent, sanglotent, menacent de ruptures sanglantes et définitives. Qu'y pouvons-nous ? Il faut bien finir un jour. Et puis, c'est vous, après tout, qui nous dites : « Et après ?... »

11) Une superstitieuse :
Voyons… Heu… Les jours ont rallongé depuis le 21 décembre… Eh oui, nous savons, ce n'est pas vraiment une nouvelle, mais c'est pour que le prochain paragraphe tombe sur un multiple de trois…

12) La plus attendue, et la plus mystérieuse :
Le prochain spectacle !!! Notre prochain spectacle, dont vous, chers spectateurs, croyez toujours que nous savons déjà tout, ou presque, et que c'est par pure cachotterie ou pure coquetterie que, pendant si longtemps, nous vous en disons si peu. Alors que nous, pauvres théâtreux, minuscules spéléologues de l'âme, débiles alpinistes de l'Histoire, myopes astronomes, guetteurs tremblants de futurs cataclysmes et illuminations, nous n'en connaissons encore que les asphyxiants abords de son cratère bouillonnant. Gouffre infini d'où, si les dieux du théâtre nous accompagnent, nous extrairons, nous extirperons, nous remonterons et vous ramènerons un spectacle, oh ! si inattendu, si différent de celui que nous pensions pourtant avoir déjà dans nos gibecières, lors de notre marche d'approche. 

Que vous dire ? Comment vous le dire ? D'ailleurs, oserions-nous vous le dire, si nous pensions - c'est juste un exemple - que notre spectacle allait raconter ce qui se passera pendant les quelques semaines précédant l'Apocalypse ?! Hein ? Non, nous n'oserions certainement pas vous annoncer cela. Nous temporiserions. Nous parlerions de dates probables. Septembre 2006. D'ouverture de location pour les collectivités, etc… 
Voilà ce que nous ferions s'il s'agissait d'un tel projet .

13) Une inévitable :
Il est temps de terminer cette lettre que vous allez peut-être trouver encore plus farfelue et émotionnelle que les précédentes. Mais il y a de quoi, de nos jours !
Lumière ! Lumière ! Lumière et tout ce que vous pouvez souhaiter à ceux que vous aimez, voilà ce que nous voulons que vous receviez l'année pr… Non, tout de suite !

Le Théâtre du Soleil

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