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Editorial du 3 octobre 2018

 

C’est la première fois, en cinquante-quatre ans de son histoire, qu’Ariane Mnouchkine confie la troupe du Théâtre du Soleil à un metteur en scène invité – le Canadien Robert Lepage. La pièce imaginée par ce dernier assemble les fragments d’une vaste épopée retraçant deux-cents ans d’histoire de son pays — « kanata » est le mot iroquoien, signifant « village », qui a donné son nom au Canada — et scelle la rencontre, par comédiens interposés, entre deux metteurs en scène convaincus que l’artiste peut être le témoin de son temps.

 

KANATA – ÉPISODE I – LA CONTROVERSE
Robert Lepage
Théâtre du Soleil

 

Ottawa
Un tableau. Mystérieux et magnifique. Une Indienne. Du Canada. Une Autochtone. Un regard splendide, attirant, irrésistible. Une impératrice. Elle a un nom : Josephte Ourné. Le peintre aussi en a un. Joseph Légaré.
Un autre tableau de ce même Légaré : Paysage avec un orateur s'adressant aux Indiens. Cet orateur, on nous dit que c'est Edmund Kean, l'acteur, le théâtre même, tout de noir vêtu, comme un pasteur. Que fait-il là ? Devant un petit groupe de Hurons qui l'écoutent ? Colonise-t-il ? Prêche-t-il ? Récite-t-il du Shakespeare ? Envahisseur ? Bonimenteur ? Ou acteur ?
Est-il, ce qu'il est, un sacré coureur de jupons, qu'un public pudibond et hypocrite chasse un jour de sa seule patrie, la scène, et force à l'exil. Il ira, de huées en huées, et cela c'est vrai, tout comme le reste d'ailleurs, jusqu'au Canada, et au Canada jusqu'au Québec, et au Québec, toujours poursuivi par ses déboires féminins, jusqu'aux Hurons. Qui vont l'aimer, lui accorder le titre honorifique de chef et même lui offrir un nom : Alanienouidet. Ce qui voulait dire à peu près Flocons de neige tourbillonnant dans une rafale de vent et se voulait une description de son style de jeu.
Leyla Farrokhzad, la conservatrice du Musée, et Jacques Pelletier, commissaire de celui du Quai Branly, nous ont appris tout cela et, quoiqu'ils en pensent, n'en ont pas fini avec les portraits et les péripéties.

Colombie Britannique
Une forêt splendide et sereine. Une maison longue. Entrent des bûcherons. Hurlements des tronçonneuses.

Vancouver
Un quartier "populaire et sympathique", pensent Miranda et Ferdinand, une jeune artiste peintre et son compagnon, un jeune acteur plein d'enthousiasme, qui viennent d'emménager dans le loft de leur rêve, loué à prix d'or à une tenancière chinoise.
Où l'on fait connaissance du dit quartier. Le centre d'injections. Rosa, la travailleuse sociale, Tanya, l’héroïnomane. Le poste de police. Des femmes disparaissent. Autochtones, toutes.

Environs de Vancouver
Une porcherie. Un homme boit sa bière. Cris de ses cochons. Ils mangent.

Vancouver et la suite
Le théâtre dira comment mais sachons seulement que Tanya et Miranda se sont rencontrées et que cette dernière se sent des responsabilités. Sachons aussi que Tanya est une enfant adoptée et qu'elle parle persan avec sa mère adoptive. Le monde est petit, décidément. Et le serial killer tout proche. Et puis Tobie qui tente de faire un documentaire sur ce quartier ''si populaire et si sympathique''. Le théâtre dira comment. Et la controverse.

Ariane Mnouchkine
1er ocotbre 2018

 

 

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