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Lettre du 25 mars 2008

Chers amis, proches ou lointains, jeunes ou anciens, habitués ou néophytes,

Non ! Jamais nous ne vous oublions. Oui, certains ont pu le croire, puisque, nous nous en sommes rendu compte, notre dernière vraie lettre en papier date du mois d'octobre 2006 ! Ce n'est pas bien. Bien sûr, entre temps, nous avions continué à transmettre des nouvelles par courrier électronique et par notre site, mais de fait, et nous en sommes bien conscients aujourd’hui, nous avons "négligé" beaucoup d’entre vous, celles et ceux qui n’ont pas le nez collé à un écran d’ordinateur tous les jours, toute la journée. Veuillez donc accepter nos excuses. Par souci d’économie, nous nous étions laissé aller à une négligence pseudo-moderne. Nous ne le ferons plus, c'est juré, et reprendrons fidèlement ce petit rituel auquel nous tenons tous. Les adeptes d’Internet trouveront toujours ces nouvelles sur notre site, ainsi que les innombrables informations plus fugaces, plus impromptues, qui voyagent plus facilement sur des ailes électroniques que postales.

Venons en donc aux nouvelles, les bonnes et… les autres :

1) Une exceptionnelle, unique, belle et immédiate puisque c'est le mardi 8 avril :
Notre ami de toujours, Patrice Chéreau, viendra sous notre nef pour lire La légende du Grand Inquisiteur, extrait des Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski, centrée autour de la fameuse diatribe du Grand Inquisiteur, l'une des accusations les plus froidement éloquentes qu'un croyant ait portée contre le Christ.
C’est le mardi 8 avril à 20h, uniquement ce soir-là (voyez le feuillet ci-joint).

2) Une solidaire, universelle et… urgentissime, le dimanche 6 avril, avant la représentation :
En ce jour du Grand Marathon de Paris, nous vous convions à venir manifester votre soutien au peuple tibétain et aux opposants chinois, en arborant notre phrase étendard "Moi aussi j’aime courir, mais sans piétiner les droits de l’Homme". Venez encourager avec nous, dans leurs efforts marathoniens et citoyens, les coureurs qui eux aussi (en grand nombre nous l'espérons) l'arboreront en passant devant la Cartoucherie. Si vous en avez envie, rendez-vous dès 9h sous la tente "olympique" tibétaine installée dans la Cartoucherie.
Au dos de cette lettre, lisez s'il vous plaît l'appel que nous lançons. Si vous voulez le faire circuler, si les professeurs veulent en parler avec leurs élèves, si leurs élèves veulent eux aussi embrasser cette cause humaniste, si… etc… bref si vous vous joignez à nous dans ce mouvement, alors nous serons très forts !

3) Une toute aussi solidaire lelundi 7 avril :
"Il s’appelle Liangliang. Il vit, il respire… " Des comédiens du Soleil et d’ailleurs liront des lettres de soutien aux jeunes étrangers sans papiers, recueillies par le Réseau Education Sans Frontières. La participation aux frais du modeste mais joyeux "banquet civique" qui suivra est de 15 €.

4) Une afghane, héroïque et toujours périlleuse, affectueuse plus que jamais, courageuse vous allez pouvoir le constater, car :
Vous vous souvenez, le Théâtre Aftaab, l’envoi de matériel et de dons par des théâtres et des particuliers, peut-être vous-même ? Nous, chez eux en stage à Kaboul, en été 2005 ? Eux, chez nous en stage de formation en hiver 2006 ? Mais si, vous vous souvenez, certains d'entre vous nous aviez même beaucoup aidé en donnant de l'argent pour financer leur venue à Paris. Des gros ou des petits chèques mais pas du tout "des clopinettes"… ? Les clopinettes, vous vous souvenez ? Eh ! bien, grâce à ce premier coup de pouce, grâce à leur travail et à leur opiniâtreté dans des conditions de plus en plus difficiles, grâce à l’aide du Centre Culturel Français et du service culturel de l’Ambassade de France à Kaboul, grâce aussi à une subvention de la Ville de Paris, eh ! bien, ils reviennent ! Cette troupe, ce jeune Théâtre du Soleil afghan nous arrive pour jouer ses deux spectacles : Le Tartuffe et Le Cercle de Craie Caucasien, du 30 avril au 11 mai 2008 en alternance, en persan (dari) évidemment sous-titré en français. Mais autant vous dire tout de suite que malgré la réunion de toutes ces bonnes volontés, il manque encore de l’argent et qu'un deuxième coup de pouce sera nécessaire pour éviter que le budget du Théâtre du Soleil ne… vous comprenez ? Il nous faudra donc encore faire appel à vous en vous proposant d’acheter à l’avance ce que nous appelons des billets mécènes, comme (certains s’en souviennent) nous l’avions fait en 1987 pour la création de l’Indiade. Vous pouvez aussi nous envoyer un chèque à l’ordre du "Théâtre du Soleil, pour le Théâtre Aftaab".
Dans le feuillet ci-joint, vous trouverez toutes les informations et, bien sûr, également par téléphone, nous sommes là, toujours, pour parler avec vous. Et même si vous n’avez pas les moyens d’être mécènes cette fois-ci, nous espérons votre présence à ces représentations. Mais ça vous le savez, vous savez que vous nous êtes indispensables.

5) Une royale :
L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, Roi du Cambodge, d'Hélène Cixous créé en 1985 par le Théâtre du Soleil, va être joué au Cambodge, en khmer, par une troupe de comédiens et de circassiens cambodgiens. Sur le chemin de retour de Taiwan, à leur demande, Ariane et quelques comédiens du Soleil, sont allés les rencontrer pour faire avec eux une première ébauche de travail. Ils y retourneront cet automne. Après la création du spectacle à Phnom Penh, cette troupe (héroïque elle aussi) devrait être accueillie au Théâtre du Soleil l'année prochaine, nous vous en reparlerons.

6) Une vagabonde :
Les Éphémères, qui l'année dernière ont rencontré les publics quimpérois, athéniens, avignonnais, argentins, brésiliens et taïwanais, ont depuis le 1er mars retrouvé la Cartoucherie.
Les représentations parisiennes se termineront irrémédiablement le dimanche 20 avril 2008.
Oui, vous avez bien lu, irrémédiablement. Ensuite, nous partirons à Vienne (Autriche), puis à Saint Etienne du 22 mai au 8 juin. Notre décor prendra ensuite la mer et cet automne, pour la troisième fois, nous jouerons en Australie, au Festival de Melbourne, où Les Éphémères achèveront irrévocablement leur périple au bout de plus de 220 représentations devant plus de 115.000 spectateurs. Comme nous sommes toujours aussi superstitieux, ce bilan ne prend pas en compte les représentations non effectuées à ce jour !

7) Une conséquente de la précédente :
Pendant que nous serons en tournée avec Les Éphémères, le Théâtre du Soleil, du parking des autocars aux deux nefs et jusqu’à la salle de répétition, sera en état d'ébullition permanente avec les spectacles de cinq troupes à qui nous confions notre théâtre, et un spectacle de danse présenté par le festival "June Events", de l’Atelier de Paris de Carolyn Carlson. Toutes les informations sur le feuillet ci-joint, sur notre site, et au téléphone toujours.

8) Une inquiétante, chagrinante, menaçante :
La baisse de subventions infligée à la presque totalité du spectacle vivant a suscité un fort mouvement de protestation dans la profession. Nous pensons que ce mouvement est plus que légitime mais qu'il doit s’inscrire dans un mouvement plus large, car ce qui nous arrive touche aussi d’autres secteurs, comme celui de la Justice, de la Santé, des Universités et de la Recherche. C’est pourquoi nous voudrions parler de cela avec vous, vous, citoyens comme nous, nous voudrions entendre ce que vous attendez de nous.

Après tout, à quoi servons-nous ? Car il court de mauvais bruits. Nos subventions seraient mieux utilisées pour construire des crèches ou des logements sociaux, les artistes seraient des assis, des privilégiés, ils profiteraient des deniers publics pour produire à grands frais des spectacles qui font bailler le monde. La démocratisation de la culture ne serait qu'un échec. Et ce qui nous frappe, et nous attriste, c'est que ce discours a gagné du terrain, du moins à en juger par certaines réactions, sur Internet, sur les forums notamment. Soit ce ne sont que les mécontents qui s’expriment, et il faut absolument que ceux qui ne pensent pas comme eux nous défendent et répondent, soit c’est beaucoup plus grave. Que notre travail ne soit pas reconnu par le pouvoir actuel, c’est, hélas, normal, mais que ce mépris trouve autant d'échos dans l’état d’esprit de nos concitoyens, c’est bien contre cela que nous devons agir et nous mobiliser. Or, ce n'est pas par la dénégation et l'auto-proclamation obstinée qu'il faut lutter, mais, bien au delà de notre public, par le dialogue avec ceux qui composent ce qu’on nommait en 1968 "le non public", c'est-à-dire, les citoyens qui n’ont pas accès à l’art, ou que l’art n’intéresse pas, et qui estiment qu’ils paient "une danseuse aux bourgeois".

Nous, nous pensons être utiles à la société, mais après tout, qu’en pense la société ?
Nous, nous pensons que c’est de l’humain que nous construisons, nous pensons que l’art fait de nous des femmes et des hommes plus humains et donc que nous contribuons à l'humanisation de chaque individu et donc de la société toute entière. Mais, après tout, qu'en pense la société ?
Veut-elle encore de nous ? Veut-elle encore nous protéger pendant que nous travaillons ?
Pense-t-elle que ses enfants ont absolument besoin de nous ? Autant que de routes, d'hôpitaux, de tribunaux, d'écoles ? Ou sommes-nous les vestiges indésirables d'un rêve déclaré irréalisable ?
Nous attendons des réponses. Peut-être une grande rencontre pour récolter vos actes d'accusation ou vos plaidoiries. Car il s'agit bien là d'un grand procès qui commence.

Nous avions beaucoup à vous dire, maintenant c’est à vous de nous parler.


À tout de suite. N’est-ce pas ?

Théâtre du Soleil

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