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Kaboul, Afghanistan, 2005

Le Théâtre du Soleil a été invité à se rendre à Kaboul du 15 juin au 6 juillet 2005 pour y organiser un stage et divers ateliers (lumière, son, costumes). Sa venue en Afghanistan est née d’une rencontre avec Robert Kluyver, directeur de la Fondation pour la Culture et la Société Civile à Kaboul, à l’issue d’une représentation du Dernier Caravansérail (Odyssées).

La Fondation (en partie financée par The Open Society Institute) s’est donnée pour but de soutenir toute initiative de développement de la culture en Afghanistan, et de participer à la renaissance d’une vie théâtrale à Kaboul. Un travail en partenariat avec le Théâtre National de Kaboul, le Département de Théâtre de la Faculté des Beaux Arts de Kaboul, et de nombreux groupes de théâtre provenant d’autres régions afghanes.
 

© Serge Nicolaï
© Marie-Hélène Bouvet
© Everest Canto
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© Serge Nicolaï
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SOLEIL SUR KABOUL

En juin et juillet, durant trois semaines, la troupe du théâtre du Soleil s'est rendue à Kaboul pour former une centaine d'acteurs afghans. Aider à la refonte d'un art sinistré par deux décennies de guerre et qui, pourtant, demeure l'un des plus vifs d'Afghanistan. « Je ne voulais pas procéder de manière différente parce que c'est l'Afghanistan, explique Ariane Mnouchkine, la figure charismatique du Soleil. Je me suis dit "c'est du théâtre, rien que du théâtre". Alors j'ai monté une formation comme à la Cartoucherie, mais avec une particularité : nous jouons avec des masques de la commedia dell'arte, des masques balinais et japonais. »

Ariane Mnouchkine aime le masque, qui oblige à rentrer immédiatement dans la peau du personnage. « On ne peut pas tricher avec un masque, on devient forcément celui qu'on joue et personne d'autre. » Soudain, quatre acteurs entrent en scène. Tous vêtus de longs costumes de style japonais. Deux sont grimés, les deux autres portent des masques aux traits grossiers. Ils parcourent la scène. Plusieurs fois, Ariane Mnouchkine se lève, les interpelle, les renvoie derrière le rideau. Elle s'emporte : « C'est pas possible, Arif, de marcher comme ça avec ce masque ! T'es en colère, tu le sais. Cette colère, elle doit passer par ton corps. » Puis elle se radoucit : « On recommence. Y avait des choses bien quand même. »

Engagement. C'est par la pièce Le Dernier Caravansérail, jouée à la Cartoucherie voici deux ans, que les acteurs du Soleil ont découvert le drame afghan, mais il était alors question d'exil. « On a eu envie d'en savoir plus, de voir de plus près d'où partaient ces candidats à l'exil qui se retrouvaient ensuite dans le camp de Sangatte », confie Marjolaine, jeune comédienne. L'un des objectifs de la troupe : aider à la refonte de la scène afghane. Le théâtre est très populaire dans le pays, et il n'est pas rare de croiser des troupes itinérantes qui jouent dans les coins les plus reculés. « Elles apportent une vraie distraction, mais aussi des nouvelles à des gens qui n'ont rien, ni radio ni journaux. Juste avant l'élection présidentielle, par exemple, des troupes de théâtre itinérant ont sillonné le pays pour expliquer l'utilité du vote. Ça s'est fait à travers des saynètes qui ont eu beaucoup de succès. C'était l'unique moyen de toucher des gens dans des vallées isolées, qui n'ont aucun moyen d'information. Chez nous, le théâtre a aussi une fonction d'engagement, une fonction qui s'était un peu perdue avec la guerre », explique Abdul Haq Adji, en deuxième année à la fac des beaux-arts.

La troupe a planté ses ateliers dans la vaste demeure de la Fondation pour la culture et la société civile (1), au cœur de Kaboul, dans le quartier pauvre des collines, où se sont regroupés une partie des réfugiés revenus en Afghanistan après la chute des talibans, fin 2001. Au milieu de cette désolation, la fondation fait figure de miracle. Un grand jardin, des dépendances et une élégante demeure qui ressemble à un petit manoir. Durant trois semaines, plus de quarante membres du célèbre théâtre ont offert une formation à des Afghans, la plupart étudiants de la faculté des beaux-arts. Une expérience inédite dans une capitale convalescente, parcourue jour et nuit par les militaires de l'Isaf, la force internationale de paix. « Nous leur avons offert une petite fenêtre, quelque chose qu'ils ne connaissaient pas. Nous allons maintenant essayer d'en faire venir certains en France pour notre prochain spectacle », explique Mnouchkine, avant de se tourner à nouveau vers la scène : « Non Aref, ça ne va toujours pas... Écoute donc ta musique intérieure... »

« Je n'ai jamais vu ça auparavant en Afghanistan. Une telle formation. Surtout ce jeu avec le masque. Quand on joue avec ça, on est obligé de quitter sa propre personne pour se laisser porter par le masque. C'est fort ce qu'on ressent alors. Ça nous oblige à jouer très vite. Nous allons tous pouvoir nous servir de cet enseignement pour nos futurs déplacements dans le pays », raconte le jeune Massoud Tarzi avec enthousiasme, avant de dire dans un sourire : « Et vous savez, d'autres élections approchent, les troupes vont repartir jouer dans les villages. Nous pourrons nous servir de tout ça. »

Après-midi moite à Kaboul. Sous les tentures colorées, on s'installe pour retrouver cet autre monde, la scène du théâtre. Ariane Mnouchkine, installée sur une caisse en bois devant la scène, rappelle à l'ordre les acteurs en formation. « Il nous reste deux jours. Ce serait bien que cet après-midi, il y ait quelques secondes de théâtre ! Et pourquoi pas quelques minutes... », s'écrie-t-elle face à la centaine d'étudiants. « Ça dépend de ceux qui sont sur scène, mais aussi du regard de ceux qui sont assis », ajoute-t-elle avec une pointe d'ironie. Face à la scène, les acteurs en formation ne mouftent pas : ils se concentrent, de même que quelques curieux pour qui cette formation est « encore mieux qu'un spectacle ». Chaque jour, huit heures d'affilée, les membres du Soleil prennent sous leurs ailes, par petits groupes, les acteurs afghans. « Un don du ciel », dit l'un d'eux. Ils les poussent à se surpasser, mais aussi à confectionner leurs costumes, à créer leurs masques et à mener une réflexion sur du théâtre. « C'est important dans un pays qui sort de la guerre : jouer permet de retrouver une identité, une dignité, permet de prendre une distance par rapport à la réalité et critiquer ce qu'ils veulent, notamment le pouvoir politique. C'est une pratique subversive à l'intérieur d'une certaine douceur, explique Mnouchkine. Qui ajoute : mais sur une centaine d'étudiants, nous n'avons que quatre filles. Et ça, c'est terrible. Le jour où nous aurons autant de femmes que d'hommes dans ce genre de formation, alors le pays ira beaucoup mieux. »

En Afghanistan, le théâtre est encore interdit aux femmes. Les rares qui osent monter sur scène le font à l'abri des regards. Une multitude de petites salles ont d'ailleurs émergé un peu partout à Kaboul, pour que les Afghanes puissent s'initier à la comédie. Mais ces lieux demeurent cachés. « Elles sont courageuses », affirme l'un des membres du Théâtre du Soleil.

Instant étrange. Au même moment, Myriam, jeune étudiante afghane au visage angélique, avance lentement sur la scène. Emmitouflée dans des haillons, on distingue à peine ses yeux. Elle s'assied en face d'Ariane Mnouchkine. Un homme entre à son tour sur scène. Son masque, lui, dessine un large sourire. Il se moque de la jeune fille, qui le regarde en silence. Dans l'assemblée qui assiste à cet instant étrange, personne ne parle. La jeune fille diffuse quelque chose d'indéfinissable, de la fragilité... Alors, Mnouchkine se lève, sourit et se tourne vers l'assemblée : « Voilà un moment de théâtre. Il ne faut pas grand-chose. Juste y croire. Croire, c'est le début du théâtre. »

Par Eric De Lavarene, envoyé spécial à Kaboul, 9 août 2005, Libération.


(1) Association qui s'occupe, depuis 2002, de la sauvegarde des cultures afghanes.

Un Soleil à Kaboul... ou plutôt deux !

En juin 2005, invités par la Fondation pour la Culture et la Société Civile, le Théâtre du Soleil s’embarque pour l’Afghanistan afin d'y donner un stage à Kaboul.

"L'armée française nous a accordé son aide pour transporter là-bas tout le matériel que nous aurons pu récolter ici. En effet, ils manquent de tout en général, et en particuler de tout ce dont on peut avoir besoin pour faire du théâtre ou du cinéma : projecteurs, prises, lampes, gradateurs analogiques, jeu d'orgue, groupe éléctrogène; mais aussi pour le son, magnéto, ampli, enceintes, consoles, ils ont besoin aussi d'échelles, de maquillage, de tissu, de costumes, de machines à coudre, de fers à repasser, de mercerie en tout genre, de ciseaux, d'épingles à nourrice, de portants, de rideaux, etc. Ils n'ont rien. 

Si nous réussissons à réunir tout cela dans un assez bref délai, ce matériel pourra partir par convoi militaire avant notre départ."

 

Le Théâtre du Soleil a contacté 70 théâtres et une dizaine de sociétés. Six avions militaires ont transporté entre le 25 avril et le 26 juin 374 tonnes de materiel pour un volume de 41,29 m3.

Cette mission donne naissance au milieu des ruines et des roses d’un jardin, à une toute jeune troupe de théâtre afghane, mixte et courageuse, le Théâtre Aftaab ... un petit Théâtre du Soleil d’Asie centrale.

Le film est disponible en DVD à la libairie du théâtre et en VOD sur la chaine Viméo de Bel Air Classiques.

 

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