11,12 et 18,19 octobre 2025
Un diptyque théâtre et film documentaire
par le Théâtre National Palestinien
D'après Aristophane
Spectacle de Roxane Borgna, Jean-Claude Fall et Laurent Rojol
Avec Ameena Adileh, Iman Aoun, Mays Assi, Firas Farrah Nidal Jubeh, Amer Khalil, Shaden Saleem et Yasmin Shalaldeh
le samedi à 15h et à 19h30
le dimanche à 13h30
Spectacle et film en arabe surtitré en français
La révolution féministe du XXe siècle, qui a aussi émancipé les enfants, subit une violente contre-révolution, masculiniste à souhait et profondément incestuelle. Aujourd hui, avec le décryptage des mouvements féministes, on sait que le patriarcat inclut dans sa vision le colonialisme, le racisme, la froide raison instrumentale, la résurrection des valeurs romaines : puissance, gloire, conquête, expansion des états-nations qui ont pour adoration le collectif puissant, l'impérialisme et la guerre sans trêve, sans fin. La moitié de l'humanité, dominée, bafouée, violée, incestée, exterminée, mais légitime est indéfectiblement en marche vers l'égalité afin de rendre au monde son indispensable féminité.
Pour dénoncer cette injustice, Aristophane dans son époque, choisit la comédie. Et pour nous, avec ce projet en Palestine le désir était de recueillir l'énergie de cette marche en cours à sa source au cœur des « actantes ».
Roxane Borgna
Ariane, qu’est-ce qui vous a décidé d’inviter « l’Assemblée des femmes » d’après Aristophane – version palestinienne – un spectacle et un film, au Théâtre du Soleil ?
Ariane Mnouchkine : En janvier, vous êtes venue me rencontrer. Après vous avoir bien écoutée, et malgré la sympathie que vous m'avez tout de suite inspirée, je vous ai dit non. « Non, c'est trop tôt pour moi. J'aurais l'impression d'effacer le 7 octobre sur lequel j'ai été incapable d'articuler une phrase, probablement de peur d’ajouter, par l'insuffisance de mes mots, de la goujaterie à l'horreur et au sacrilège ».
Que s'est-il passé pour qu'en mai, j'accepte ce que je vous avais, à regret, refusé en janvier ? Peut-être ai-je réussi à surmonter tant bien que mal l'indignation qu'a soulevée en moi le 8 octobre et les jours qui ont suivi. Ces jours où il fallait immédiatement oublier, que dis-je, nier un pogrom inouï, sous peine d'être accusée de manque de compassion envers les victimes de la riposte israélienne. Les Palestiniens tous martyrs, les juifs tous bourreaux. Avant même que cette riposte ait commencé et atteint les proportions inacceptables qu'elle a atteint.
Disons que j'ai retrouvé un peu de la raison nécessaire pour examiner sérieusement et sans tout confondre, la justesse de votre projet.
Ce projet qui ne parle pas de la guerre mais de quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus universel, rien de moins que de la moitié de l’humanité. Ce projet parle de la lutte parmi les luttes, celle des femmes. Celle de la moitié de l'humanité.
Vous et moi croyons à la vertu de l’Art, dans cette période qui devient de plus en plus sombre au risque de devenir une des plus désespérantes des deux derniers siècles, qui pourtant ont produit d'incommensurables lots de désespoirs. Et, disant cela, je ne parle pas seulement d'Israël et de la Palestine, de l’Ukraine, mais de l'incroyable rassemblement de tyrans anciens et nouveaux en train de s'accorder pour déstabiliser, diviser, pourrir, bref, détruire les fragiles et imparfaites démocraties.
Nous allons donc vous accueillir dans notre théâtre, ou plutôt dans notre « campement » de travail, je veux dire tel qu’il est quand nous sommes en création.
Ici, donc, grâce à vous, on parlera des femmes. Elles montreront une autre image de la Palestine. Car ces femmes mènent un combat qui n’est pas nourri par la haine et la colère seules. C'est en cela qu'il est véritablement progressiste.
Au-delà des images de martyr éternel, de victimes éternelles, grâce à ces femmes qui interrogent leur condition et marchent irrésistiblement vers l'égalité, vous nous révélez une société civile palestinienne lucide et forte
Nous pouvons encore nous parler (vous et moi) parce que notre désir n’est pas morbide, il n’est pas de l’ordre de la destruction, et en ce moment je ne veux pas ajouter du mal au mal, je ne peux parler qu’avec des gens qui ont au moins la volonté d’une solution non terrifiante.
Quand Adorno dit « après Auschwitz plus aucun poème n’est possible sauf sur la fondation d’Auschwitz lui-même » je comprends qu’il ait pu le dire à ce moment-là, car le grand dieu guérisseur, c’est à dire le temps, le temps n’avait pas accompli son office bénéfique. Nous ne dirions plus cela aujourd'hui.
Mais parfois, hélas, le temps est maléfique. Il assèche, il efface les mémoires. D'où l’ignorance, la bêtise, le sacrilège.
Ces délires, ces peurs, ces vociférations haineuses et mensongères, votre projet, je l'espère, les fera taire. D’où qu’elles viennent. Pendant quelques heures.
Entretien avec Ariane Mnouchkine pour l’accueil du théâtre national Palestinien au Théâtre du Soleil, propos recueillis par Roxane Borgna, 4 septembre 2025