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Une semaine à Mayotte | Maurice Durozier


 
 
16 Juillet
 
Jean-Louis m’emmène en excursion pour la journée. D’abord à Acoua où nous rencontrons des membres de l’association Shimé qui lutte contre la disparition de la langue Mahoré qui a deux origines Bantou (Africaine et Malgache).
Dans le grand salon d’une maison, vidé de ses meubles, j’assiste à une représentation de Débaa, danse pratiquée uniquement par des femmes de l’île sur des chants d’inspiration religieuse, des chants soufis. Le chant et les chœurs sont très émouvants. Les gestes coulés sont simples et peu nombreux. La grâce de cette danse en ligne, très serrée, réside dans sa retenue. Juste un rapide mouvement d’épaule laisse échapper, une fraction de seconde de sensualité. Les premiers chants sont en arabe, les femmes ne comprennent pas ce que racontent les paroles. Des plus jeunes filles aux jeunes femmes, toutes dansent, sous la direction d’une leader, appelée Imam qui les invectivent et leur donne des indications. Sa scansion est parfaitement rythmée sur le chant. C’est la première fois que je vois une femme Imam. Les mères assises accompagnent aux percussions. C’est la plus âgée qui lance le chant. Je ne savais pas que ce nom pouvait être aussi donné à des femmes. C’est à la fois une répétition et une initiation. Les bébés qui marchent à peine, évoluent au milieu en toute liberté. Un petit garçon qui se tient à peine debout, endimanché, un nœud papillon bleu autour du coup, se lève avec un tambourin et les regarde en ouvrant de grands yeux. Il paraîtrait que Mayotte est une société matriarcale.
En sortant de la maison, je cherche l’ombre, Spélo, un intellectuel Mahorais me dit : - Ici le soleil est mouillé, il est plus doux, il ne pique pas pareil, chez vous le soleil est sec.
Paradoxalement, ce grand défenseur de la langue Maoré a un Français parfait, un peu comme celui des Africains. Au cours de la conversation, il emploie l’expression, « comme disait l’autre ».
Je lui demande : - Qui est l’autre ?
- Mon semblable qui n’est pas moi.
 
L’après-midi nous traversons toute l’île pour aller au Sud à Pali Kéli. Dans un terrain improbable au milieu de rien, des musiciens Raymond et Monsieur Tchô, ont monté une scène sur laquelle ils répètent, sono à fond, un style de musique local qu’ils appellent le Salégué.
Le chanteur dont le local a été récemment cambriolé, me chante avec conviction une sorte de Rap aux paroles anti-migrant.
Je touche du doigt la triste réalité de l’île. Mayotte est très pauvre et c’est un département Français. Les Comoriens des autres îles, et même certains Africains, tentent de fuir la misère des leurs îles sur des barques de fortune, à partir d’Anjouan situé à 70 km. Ceux qui y parviennent ne sont pas les bienvenus. L’insécurité s’est installée dans l’île. Une partie des migrants Comoriens sont entassés dans une favela et sont tombés dans la consommation de la chimique, une drogue chimique locale.
Ce rejet serait encouragé par l’élite Mahoraise de l’île.  
Didier chez qui je loge et qui connait bien Mayotte me dit : - Si les migrants étaient renvoyés sur leur île, il n’y aurait plus personnes sur les routes pour vendre les fruits et les légumes, plus d’éboueurs ni de maçons. Il rajoute que les Mahorais ne veulent pas faire ce genre de travail, d’ailleurs, ils sont plutôt paresseux de nature. Mais, le problème n’est-il pas le même en métropole ? Je veux dire qu’en ce genre de travaux ont toujours été faits par des immigrés. D’ailleurs, Didier aime bien faire un jeu de mot : Ici, c’est la sous-France.
Le tourisme n’est pratiquement pas développé sur l’île. Avion trop cher et pas assez d’infrastructure. C’est peut-être pas plus mal.
 
 
 
Mardi 19
 
J’assiste à une représentation de théâtre amateur à l’université de Dembédi. Deux homme et une femme, une animatrice et deux profs présentent une pièce tout à fait intéressante, un acte authentique et qui va au bout. En coulisse, l’animatrice est au jeu d’orgue (2 ou 3 projos à sa disposition), l’auteur, prof de math, envoie la musique. L’acteur se démène comme un beau diable. Dans la vie, il est prof de SVT et de plongée. Le texte raconte l’histoire d’un paysan qui trouve un livre dans sa cave. Pratiquement illettré, à l’aide d’un dictionnaire que lui donne son vétérinaire, il commence à déchiffrer le livre. Peu à peu, il délaisse ses bêtes, ses champs, se coupe du monde et entre dans l’histoire du livre qui se trouve être celle de Don Quichotte. Il s’identifie évidemment avec Sancho Pansa pour vivre quelques aventures avec son maître.
Ces trois passionnés ont organisé un festival de théâtre amateur de l’île le week-end prochain.
Je visite un premier lieu possible pour le stage de l’École Nomade à l’université de Dembédi, une terrasse surplombant la route et le lagon. Mais il fait nuit, je ne me rends compte ni du bruit, ni de la chaleur. Je dois revenir dans la journée.
Sur la route du retour, je reparle du problème des Migrants avec Jean-Louis qui entre nous soit dit fait un travail exceptionnel pour le développement de la culture et entre autre, du théâtre dans l’île. Le projet de l’École Nomade repose sur sa détermination et son énergie.
La circulation et l’immigration des autres îles vers Mayotte a toujours existée. C’est devenu exacerbé et complexe. La France n’a pas trop de solution. Suite aux manifs de protestation anti-migrants, les expulsions de clandestins se sont accélérées mais les Comores ont immédiatement réagi en revoyant le consul Français et refusent le retour des migrants expulsés sur leur île. La tension est extrême. Il ne faut pas oublier que Mayotte fait partie des quatre îles sur le drapeau des Comores.
 
 
 
 21 Juin
 
Rencontre avec les partenaires à Mamoudzou.
Ils sont 7 autour de Jean-Louis de l’Université, Anouk, François, Marie-Claire, Sarah, Nicolas, Kadija. Professeur, proviseur, représentant de la DAC ou de la Jeunesse et des sports, étudiante. Depuis 2 ans, ils travaillent d’arrache-pied pour mettre en place cette École Nomade. Ils n’en sont pas à leur première réunion. Leur désir est évident de mettre en place les meilleures conditions pour les stagiaires et pour la troupe. Elles, ils m’étonnent par leur simplicité, leur lucidité, la pertinence de leurs questions et de leurs interventions. Ils cherchent ensemble des solutions et ils ne disent jamais non même si c’est compliqué. Ils s’écoutent, discutent même des questions financières. C’est suffisamment rare pour être souligné. Le budget est assez élevé mais en fait de leur côté tout semble possible. Ça me rappelle la grande époque de l’éducation populaire. Il faudrait que cette bande, organise des stages de formation en simplicité et écoute pour les fonctionnaires des institutions en France. Ah, j’ai encore une fois tendance à oublier, Mayotte, c’est la France.
Il faut vraiment trouver le lieu.

 


22 Juin
 
Visite du lycée Mamoutzou Nord, le proviseur François nous ouvre et nous offre tout son établissement. Son enthousiasme pour le projet est débordant.
L’auditorium (13/5m) serait une solution en enlevant 2 rangées de sièges et allongeant le plateau avec des praticables. On obtiendra un espace de 13/8. Difficulté pour accrocher un rideau. Sièges avec tablettes ajustables (prévus pour prendre des notes), pas très pratiques. La pente des gradins n’est pas très bonne.
Je repère un autre espace possible dans la cour donnant sur un jardin tropical. Espace, un peu petit mais ombragé toute la journée. On pourrait y installer un tréteau comme nous avions fait à Kaboul. Les praticables qu’on me propose font 8x6. Il faudrait cependant gérer un poteau central au deuxième rang du public.
Ce qui serait très bien et très pratique, c’est la cantine, idéale pour servir des repas pour 100 personnes. Le lycée est aussi situé à 5 mn à pied de l’hôtel, une petite résidence, très propre et très calme de bungalow et chambres individuelles, où nous pourrions tous loger. Autre avantage, l’École Nomade serait vraiment accueillie. Le proviseur mettrait à notre disposition, une partie de son personnel. Ce ne sera pas le cas dans aucun autre lieu.
 
 
Nouvelle discussion sur les migrants : Comme je le disais, cette question n’est pas simple. Il arrive que des parents en situation irrégulière soit expulsés, leurs enfants qui eux sont régularisés, parce que le plus souvent nés à Mayotte se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ses enfants cherchent leur nourriture dans les décharges publiques et tombent inévitablement dans la délinquance. La directrice du collège de Kavéni 3, me dit que certains de ses élèves sont dans cette situation. Ils viennent dans l’établissement mais uniquement parce qu’il y a un repas à la cantine. Ensuite, ils retournent vivre et dormir dans la rue.
Il y aussi ce nouveau phénomène des gilets jaunes ou verts. Une milice, non armée de dissuasion s’est constituée. Des jeunes hommes patrouillent la nuit aux carrefours, et dans les quartiers chauds pour assurer la sécurité. Tous ceux qui ne sont pas de la zone sont contrôlés et interrogés sur la raison de leur présence dans le secteur. Il paraît que ce serait efficace, les attaques et le trafic de drogue auraient diminués. Mais il y a des bavures, tabassage ou abus de pouvoir. Par exemple, François me raconte que 2 jeunes filles se seraient fait arrêtés par des gilets jaunes parce qu’elles ne portaient pas de foulard sur la tête pour aller au lycée. François a fait intervenir la police pour rétablir l’état de droit. En fait, ces gilets jaunes ne sont pas des Mahorais, mais des Comoriens en situation irrégulière qui espèrent obtenir leur régularisation en se rendant utiles. Oui, c’est un île paradoxale, ils contrôlent et livrent à la police des Comoriens clandestins, comme eux.
 
Un peu d’histoire : Ce rejet des migrants est tellement exacerbé en ce moment. Il faut remonter dans l’histoire de l’archipel pour essayer de comprendre.
Mayotte faisait partie d’une des colonies Française appelée, Madagascar et dépendance. Quelques années après l’indépendance de Madagascar, les Comores ont demandées leur Indépendance. Contre toute attente, une des 4 îles, Mayotte a voulu rester Française, plusieurs référendums ont été organisés, le dernier sous Giscard, les Mahorais se sont toujours prononcé, à 90% dans ce sens. Peut-être se sentaient-ils méprisés par l’élite issue de la noblesse Shirazienne de la grande Comore. Oui, au XIIesiècle, les premiers colons qui ont peuplés l’archipel venaient de Chiraz, en Iran.
Une résolution de l’ONU, toujours en vigueur, condamne la France et demande la restitution de Mayotte aux Comores.
 
Connaissez-vous les chatouilleuses ?
 
Mayotte est une société matriarcale, probablement influencé par l’origine Africaine de sa population. L’Islam soufi pratiqué dans l’archipel n’a pas changé profondément la société. Aujourd’hui encore les femmes ont gardé le pouvoir dans les villages et les quartiers. A partir de l’indépendance des Comores, les femmes de l’île voyaient leurs maris partir dans les autres îles où la polygamie était autorisée, épousaient d’autres femmes et les abandonnaient à leur sort. Elles se sentaient en quelque sorte protégées par la République française. 
De 1966 à 1976, au côté de leur leader charismatique Zéna M’Déré, ses femmes chatouilleuses qui ont mené sans relâche le combat pour l'ancrage de Mayotte dans la République française. Leur arme, les chatouilles. Elles se rendaient en groupe sur le tarmac de l’aéroport, entouraient les hauts-fonctionnaires venus de la grande Comores et les chatouillaient. Parfois, à mort, me dit-on.
 
 
 
Samedi 23
 
Je visite un autre lycée qui pourrait être très bien pour accueillir le stage dans une de ses cours, le lycée de Tsararano. Une cour à l’ombre, entourée de balcons sur deux étages pourrait accueillir le stage. On dirait presque une configuration moderne de théâtre élisabéthain. Mais nous aurions les clefs pour disposer de l’espace et c’est tout.
Le problème d’après Jean-Louis, est que ce lycée est très isolé. Et c’est de là qu’est parti le mouvement de grève, barrage et paralysie de Mayotte pendant 2 mois, le printemps dernier. Une bande de jeunes Comoriens, armés de machettes faisait irruption dans le lycée pour racketter, et détrousser les élèves. Cet évènement a cristallisé l’exaspération des habitants contre ces violences à répétitions et ils se sont mobilisés. Aujourd’hui la situation est calme mais il resterait à l’intérieur de l’île, des concentrations de jeunes Comoriens, désœuvrés, sans ressources et affamés. Si le stage avait lieu, ici, nous serions totalement isolés et vulnérables et cas de problème.
 
Mon séjour se termine par une réunion d’information à l’université. Il y a bien sûr une majorité de blancs mais une douzaine de Mahorais, ou Comoriens sont présents. Les questions fusent. Vraisemblablement, mis à part, les jeunes qui sont venus voir Une chambre en Inde, il y a 2 ans, personne ne sait ce qu’est le Théâtre du Soleil. J’insiste sur l’exigence du travail qui va leur être proposé. Mais peu importe, le désir est là. Les gens qui sont venus, s’engagent à faire passer l’information. Il y a une attente, je ne sais pas ce qu’il peut se passer, mais cette école Nomade sera sans doute, une page blanche, comme ce fut le cas à Kaboul en 2005. À part, dans les classes théâtre du lycée et un atelier théâtre à l’université, il n’y a encore aucune expérience théâtrale réelle où les jeunes Mahorais et Mahorais participent. Il nous faudra repartir des bases, comme toujours, en fait. Et ça nous fera du bien.
 
 
Dimanche matin
 
Un dernier café avec Jean-Louis et une prof à la retraite qui a créé les classe théâtre au lycée de Mayotte. Il a mené ces visites et ses rencontres avec une délicatesse et une efficacité remarquable. Il s’émeut lorsqu’il évoque les réflexions et l’enthousiasme de ses élèves au retour du spectacle du Théâtre du Soleil à Paris. J’insiste auprès de lui sur la nécessité de la participation de ces jeunes Mahorais ou Comoriens à cette École Nomade. C’est pour eux essentiellement que nous viendrons. Il faut qu’ils soient informés, je sais qu’ils le seront et se rendent disponibles pendant ces trois semaines.
Avant de partir, il faut quand même que j’aille me baigner au moins une fois. On va dans une plage du Nord, à 1 heure de Mamoutzou. Un petit village de pêcheur, en contrebas de la route. Il est un peu plus de midi, le soleil est au zénith. Sur la plage entre un baobab et un arbre parasol, une petite mosquée les pieds dans l’eau, le chant du muezzin, quelques hommes nonchalamment vont prier, les gamins juste en face, entre la mosquée et les vagues, jouent au foot. Des femmes en habit coloré, à la démarche chaloupée et insouciante passent devant, sur le petit chemin de sable qui longe la plage. Un moment paisible de vie, un islam tranquille, normal, humain.
Mais après le bain, il faut que la discussion revienne sur les migrants. L’île d’Anjouan est à peine, à 70 km de là. J’apprends que les pêcheurs de Mayotte participent aux voyages des clandestins. C’est 1000 Euros le voyage pour 1 personne, s’ils se font arrêter, ils disent que leur passager est un pêcheur. 200 Euros, pour aller chercher ceux que les passeurs déposent sur le rocher d’en face. Ils ont un langage particulier et utilisent des cartes SIM (à 2 Euros) qu’ils changent après chaque appel. Les migrants constituent une économie parallèle locale.
Dans la zone transit de l’aéroport, je mets au propre ces notes. Cette petite île a aussi un charme unique, protégée par Madagascar, un petit bout d’Afrique a voulu s’émanciper du continent et qui s’est mis à dériver dans l’océan Indien. Elle est secouée de mini tremblements de terre régulier, essaim de séismes, comme ils disent dans la presse locale. Mélange de douceur et de violence latente, Mayotte tu as certainement beaucoup de choses à nous dire. À bientôt !
 


Maurice Durozier.
Mamoutzou, le 24 Juin 2018