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Au fil des jours

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  • Publication du 13/12/2019

Ariane Mnouchkine : «une île japonaise» pour raconter le monde

Le 13 décembre 2019

 

© Archives Théâtre du Soleil 

 

 

Lauréate du Prix Kyoto, distinction décernée par la Fondation Inamori dans le domaine des sciences et technologies ainsi que des arts et de la philosophie, elle vient de séjourner trois mois au Japon, avec un but: s'imprégner de « la vérité, de l'essentiel » du pays. C'est là qu'elle campe sa prochaine création, un « spectacle au sujet du monde actuel mais dont le hasard fait qu'il se passe sur une île japonaise, qui doit être évidemment fictive mais profondément juste ».

 

Voyage hippie 

Enfant, ce n'est pas de Japon mais de Chine qu'Ariane Mnouchkine rêvait, une passion brisée par un refus de visa. « J'avais pris un bateau un beau matin d'avril 1963 à Marseille, pour arriver un mois plus tard à Yokohama », près de Tokyo. Elle est alors restée cinq mois et demi dans l'archipel, « en le détestant au début, puis petit à petit en tombant amoureuse du pays, des gens, de la nourriture, de l'architecture et du théâtre ». Ce n'était pas un voyage d'étude, « c'était plus hippie que ça, c'était l'époque où les jeunes faisaient ce que je regrette qu'ils ne fassent plus, c'est-à-dire prendre un sac à dos pour partir voir le monde ».

 

« Le théâtre, c'est ça ! » 

« Petit à petit j'ai commencé à aller au théâtre au Japon et à comprendre que j'étais tombée dans un trésor, en plein dans le mille! La chance, l'époque, mon pays m'avaient permis de voir des choses qui allaient me nourrir jusqu'à ma mort », dit-elle, saluant le mariage somptueux entre la beauté visuelle et rythmique, l'architecture des salles. « Quand j'ai vu du kabuki, du nô, du bunraku (trois formes de théâtre japonais, NDLR), c'est comme si quelqu'un avait abattu devant moi le sceptre du théâtre, en me disant 'tu vois, petite, le théâtre c'est ça!' ». A la Cartoucherie de Vincennes, quartier général du Théâtre du Soleil, les spectateurs sont accueillis par Ariane Mnouchkine: ils y mangent, y passent parfois la journée, participent à la vie de la troupe. Ce n'est pas un hasard: c'est « inspiré » du kabuki, où l'on va en kimono, où l'on déguste des « bento », où l'on lance des interjections aux moments-clés des pièces. Et celle qui, à 80 ans, dans la lignée de feu Jean Vilar, oeuvre depuis plus d'un demi-siècle pour un théâtre populaire, de déplorer que les prix des places du kabuki à Tokyo soient désormais « monstrueux ». C'est là selon elle qu'il « manque une politique culturelle. Car des théâtres comme le Kabukiza à Tokyo devraient être des théâtres publics, ce devrait être subventionné pour que les gens reprennent possession de leur théâtre ».

 

« Cupidité d'un certain capitalisme » 

Cette inlassable avocate de la « nécessité de la pratique de l'art dès le plus jeune âge » se félicite de la chance d'être en France, « parce qu'il y a des pays où une femme qui fait du théâtre est une femme morte, parce que dans quelques pays c'est interdit ». Mais elle regrette que certains territoires de l'Hexagone aient été désertés par la culture. « Les tutelles ne veulent que des grands arbres bien taillés et faciles à contrôler », dit la metteuse en scène, pas les petites herbes « dont on ne sait que faire ». Mais pourtant, « c'est cette petite pousse-là qui est importante », dit-elle en montrant des herbes dans un jardin de Kyoto. Ce qu'Ariane Mnouchkine sent pourtant, c'est « un désir de faire du théâtre en dehors des structures institutionnelles, d'échapper aux labels, aux formats » et, insiste-t-elle, « aux modèles économiques », qu'elle exècre et « contre lesquels les peuples se révoltent », parce qu'ils sont partout mais pas au service de tous, selon elle. « Je ne vois pas où est l'issue sans violence, ça me désole, mais, même si je crois aux mouvements non violents, je ne sais pas comment on peut répondre à une telle cupidité et une telle avidité d'un certain capitalisme », dit-elle.

Indice: « le prochain spectacle sera probablement là-dessus ».

Rendez-vous en fin d'année 2020 sur scène.

 

AFP, pour La Croix du 13/12/2019