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1975-1999 : De la création collective à l'écriture en commun - Anne NEUSCHAFER

Avec la création d'Et soudain, des nuits d'éveil, le Théâtre du Soleil a renoué en 1997 avec les aspirations et la terminologie de ses débuts. Dans les halls de la Cartoucherie, il a accueilli “ la peine de tout un peuple qui jusqu'à hier se tenait à des milliers de kilomètres de notre attention ” [1] : qui ne se souviendrait alors du lointain peuple de 1789 comme du peuple khmer de Sihanouk et de la foule multinationale de L'Indiade ? Quelque chose, toutefois, semble changé, puisque la représentation ne tend plus au public - même pour quelques instants - le miroir d'un monde meilleur et l'écriture s'en ressent, elle se fait hésitante, provisoire : “Le Théâtre n'est plus le lieu des représentations. Le voilà qui devient la maison du présent. Et quel présent ! Un présent tendu, fragile, menacé d'une interruption mortelle” [2].

En 1972, le deuxième volet du diptyque sur la Révolution française, 1793, s'était voulu “un spectacle de science-fiction” [3] réalisant avec la section de Mauconseil l'utopie d'une société plus équitable. Trois ans plus tard, L'Âge d'or se terminait par l'appel à un monde meilleur qu'évoquait la conteuse Salouha :

Le jour se lève ! Vous le voyez comme il se lève ! Mais alors nous sommes en 1975 et rien de tout ce que nous avons raconté n'est fini. Alors Abdallah, il y tombe toujours des échafaudages et Pantalons mille [sic!] sont toujours aussi mornes, les puissants, ils ne sont pas encore grimpés au mur, mais ils ont déjà le pied levé, et peut-être que maintenant, que nous allons nous quitter et que vous allez partir vers la ville, peut-être que tout va commencer... [4]

La scène du théâtre, ouverte et offerte au monde, reste cependant cette “maison du présent”, celle qui représente le monde. L'impuissance à agir directement sur la réalité sociale réunit la troupe du Théâtre du Soleil et les spectateurs “à la maison” qu'est le théâtre. C'est elle qui réconcilie la salle et la scène. Ainsi, toute réflexion politique au Théâtre du Soleil s'accompagne-t-elle d'un regard dans le miroir du théâtre ; tout acte extérieur devient geste sur la scène. Le spectateur attentif pénètre alors dans l'atelier de la création théâtrale contemporaine où acteur, auteur et metteur en scène se déstabilisent afin d'explorer l'inconnu : “Faire du théâtre, c'est toujours se demander comment on investira la citadelle quand on n'a pas les moyens” disait Antoine Vitez [5]. Et soudain, des nuits d'éveil nous propose une nouvelle approche de l'écriture par l'improvisation, une nouvelle approche de la création collective :

Les mots justement, je ne dois pas oublier d'en parler. Les mots aussi, bien sûr, sont de la même modestie ambiante. À la maison - car on est à la “maison” - , entre nous , - il s'agit d'un “nous” simple et domestique -, on se parle à demi-mots, par interjections, par signes, d'ailleurs ce “nous” est à moitié tibétain. Alors circule sous notre toit une langue de bric de broc et de tashi delek, légère, légère, gaie, économe, urgente, allusive. L'auteur elle aussi est suspendue et improvisée ! Elle tient bien un journal, mais vraiment en cachette. [6]

Revenir en 1997 à la création collective signifie autre chose encore : si, dans la première et deuxième décennie de ce siècle, Jacques Copeau avait poursuivi l'idée d'une Comédie de notre temps, Ariane Mnouchkine inscrit sa pratique théâtrale depuis les années 70 dans cette même voie. À partir de la rencontre avec Hélène Cixous ce projet fondamental se détache progressivement du modèle de la Comédie improvisée d'où émergerait un jour un nouvel auteur et s'oriente davantage vers la tragédie quotidienne et son rituel de la représentation :

Theater for me is tragedy, characters, combats against destinality, “fate”. I think that only in a tradition with a profoundly political message does the theater have a reason for being. [7]

disait Hélène Cixous en 1997 dans une interview avec Bernadette Fort à propos de La Ville parjure. Grâce à l'auteur, aussi modeste soit-il, le Théâtre du Soleil n'écrit plus seulement “sur le sable” [8], il fait émerger de nouveaux genres dramatiques entre la comédie et la tragédie. Il ne s'agit plus non plus des notions traditionnelles d'auteur, de texte et de genre. On pourrait plutôt parler, par analogie avec le terme performer pour l'acteur d'une performance d'écriture où le spectateur est convié à assister à l'écriture sur scène, où l'écriture émerge devant lui [9].

Le tournant des Shakespeare

“Le fait qu'on décide de monter les Shakespeare ne signifie pas du tout que nous avons renoncé à inventer nos spectacles” [10] avait déclaré Ariane Mnouchkine en 1981, lors d'un entretien avec Alfred Simon. Avec ce choix semble en effet se poser la question de l'abandon de la création collective. Depuis 1968, le Théâtre du Soleil ne s'était pas lassé de souligner que “tout acteur était un créateur dans le spectacle” et que la création collective comportait de façon essentielle l'écriture collective [11]. Pour le théâtre des années 80, Mnouchkine indique une autre voie, en accordant une importance nouvelle à la parole littéraire ou dramatique, enrichie toutefois par les acquis du jeu corporel des années 70. Elle ne renonce pas pour autant à son projet personnel d'écriture :

Je crois qu'une troupe ne doit pas être entièrement vouée aux œuvres ou aux tentatives d'une seule personne de la troupe. J'ai eu un moment d'angoisse, réalisant que je n'avançais pas dans mon projet. Alors j'ai pensé à ces Shakespeare dont je pensais d'abord faire des exercices d'école, et qui sont devenus l'objet d'un spectacle. Après tout, même Molière, quand il ne montait pas ses propres pièces, montait les pièces des autres. [12]

Le Théâtre du Soleil n'abandonne point sa conviction profonde qu'un nouvel auteur naîtra de sa collectivité :

Je dis souvent aux comédiens : “Laisse Shakespeare s'occuper des mots, il fait ça très bien, toi, tu es là pour autre chose”. Ce dont l'acteur est chargé, c'est de montrer dans quelle situation et dans quel état est le personnage qui profère ces mots. Tout vient des mots mais les mots doivent venir de ce que l'acteur produit comme jeu. [13]

L'espoir - et l'utopie - de se retrouver plus tard en présence d'un auteur reste constant. Mais depuis la création et l'écriture de L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge en 1985, la Compagnie admet l'idée qu'il s'agira plutôt d'un auteur vivant en symbiose avec le groupe, comme le fait Hélène Cixous.

L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge

Après avoir quitté “l'atelier du maître” avec le cycle des historical plays, le Théâtre du Soleil affronte à nouveau le présent : il choisit de suivre sur scène l'histoire récente du Cambodge, considérée à travers les péripéties vécues par son dernier roi, exilé et déchu à la fin du spectacle. Hélène Cixous propose la tragédie du peuple khmer comme fresque épique en deux parties, dont la première se termine sur l'alliance entre Sihanouk, les Khmers rouges et la Chine après l'échec de la république de Lon Nol, et la deuxième sur l'offensive victorieuse des Vietnamiens mettant un terme au régime de Pol Pot qui réussit cependant à contraindre Sihanouk à l'exil.

Encore un fois, le Théâtre du Soleil adopte le point de vue du peuple face aux “Grands” qui le gouvernent. Le peuple est présent dans les innombrables statuettes, vêtues de costumes traditionnels cambodgiens disposées le long des murs du hall de la Cartoucherie, et qui semblent partager l'horreur et la compassion du public. Ces statuettes témoignent d'autre chose encore : aux événements historiques relatés sur scène, Hélène Cixous oppose la vision d'un Cambodge intérieur, conscient de sa civilisation millénaire, attaché à la vénération due à ses ancêtres et à ses dieux. Les acteurs adoptent un jeu corporel fortement inspiré de la commedia dell'arte qui tranche avec les costumes modernes, réalistes, et ne recourt pas aux masques, excepté pour le personnage de Norodom Suramarit, roi défunt et père de Norodom Sihanouk.

Pour la première fois depuis L'Âge d'or, le Théâtre du Soleil intervient sur le présent avec un texte né au sein de la compagnie. Sihanouk est, sous cet aspect, une sorte de bilan provisoire : où en sommes-nous dans la création de ce genre nouveau qui dévoilera la réalité sociale de l'époque contemporaine ? Sommes-nous capables d'écrire le nouveau texte de théâtre ? Le projet est ambitieux : représenter l'histoire récente d'un peuple lointain devant un public non-averti. Cixous s'est largement inspirée des historical plays de Shakespeare pour la hiérarchisation des personnages qu'elle représente sous forme de clans (La Maison royale, Les Fidèles et les Amis du Roi, La Maisonnée de Lon Nol) mais aussi pour le principe d'ordre intégrant des lieux aussi différents que les États-Unis, l'U.R.S.S., la Chine, le Vietnam et l'Europe qu'elle réunit sous l'idée du cosmos :

Le théâtre est l'espace où l'être humain s'éprouve comme un atome du cosmos, comme une minute du Temps, comme une question dans le multimillénaire dialogue des hommes avec les Dieux, comme un des milliards de “pourquoi” lancés depuis le mystère de la question parlante en direction du Mystère sans forme, de la Cause sans corps. [14]

Si ces choix stylistiques rapprochent le texte de Cixous de ceux de Shakespeare, son écriture épouse les constellations impérieuses du travail sur l'acteur au Théâtre du Soleil : la “silhouette” d'un personnage est donnée par ses origines qui sont recherchées dans les types fixes de la commedia dell'arte que Mnouchkine fait revivre dans la réalité moderne. Ariane conserve la définition primaire d'un caractère par ses pulsions et son ancrage social, comme “bon” ou “méchant”, comme “puissant/exploiteur” ou “impuissant/exploité”. À partir du jeu outrancier qu'implique le port du masque, l'écriture verbale se glisse dans les vides psychologiques que laisse l'apparition sur scène - elle est donc foncièrement complémentaire au jeu de l'acteur et à sa présence - et elle s'adapte, conçue comme sur mesure à chaque jeu individuel. Elle peut produire par là une impression d'incohérence. En effet, depuis Sihanouk, le nouvel auteur n'impose pas le verbe, mais il le préserve par son écriture. En suivant l'évolution du jeu sur scène, il se fait aussi transcripteur, traducteur. Les textes de Cixous, conçus dans leur première version avant les répétitions, seront modifiés selon l'allure que prennent les personnages sur les tréteaux. Quelques exemples peuvent suffire pour montrer cet engrenage entre geste et parole.

La représentation de Sihanouk s'ouvre sur l'hymne national cambodgien et la pièce commence par le premier leitmotiv qui lie les deux parties. Le peuple emporté par la joie de l'attente esquisse une danse au rythme de la musique et joue avec le rideau orange rappelant un temple bouddhiste. Ce préjeu renoue avec les spectacles précédents, par exemple le trio des débauchés (Sir Toby, Sir Andrew et Fabien) dans La Nuit des rois, et avec l'héritage de la commedia dell'arte, c'est à dire, l'expression de passions fondamentales comme l'angoisse ou la joie par la gestualité de l'acteur. L'attente du peuple cambodgien correspond à l'attente du public avant ce parcours théâtral qui durera près de dix heures. Le préjeu de la joie et de l'attente assume une fonction de prologue : plongées dans la même lumière claire, la salle et la scène forment encore une unité. Ce prologue du peuple crée une complicité entre les acteurs et les spectateurs qui se trouve renforcée dans la Journée de justice que tient Sihanouk lors de son arrivée et renoue avec les procédés les plus anciens du Théâtre du Soleil, par exemple avec la “Prise de la Bastille” dans 1789, où les spectateurs devenaient le véritable peuple berné de la Révolution, ou avec les sectionnaires de 1793 qui se racontaient entre eux les événements révolutionnaires et conféraient au spectateur muet le statut de témoin amical de leurs récits et de leurs passions.

Autre particularité de cette mise en scène qui dévoile l'écriture comme un work in progress dont se serviront les spectacles suivants : la frontière qui sépare les vivants des morts est fragile et fluctuante. Les bons peuvent communiquer avec les trépassés tandis que les méchants n'ont plus la possibilité de demander conseil aux ancêtres. Tout s'accorde pour évoquer le passé non d'une manière nostalgique mais plutôt comme un monde qui continue dans le présent : le père porte un précieux costume traditionnel, la musique tente une citation classique sur les instruments à cordes, les gardiens du temple assistent à cette résurrection de la tradition, mi-étonnés, mi rassurés - un peu comme les spectateurs - que le passé n'ait pas complètement disparu.

Hélène Cixous invente la présence des morts qui, tels de bons esprits, veillent sur l'égarement des humains au présent :

Le premier personnage de L'Histoire Terrible qui me soit sorti du cœur, ce fut le roi Suramarit. Mort et bien vivant et tout de suite remarquable par son extrême vitalité. Il fut le premier, et je sus aussitôt qu'il serait toujours là, le plus vivace, le plus fidèle, le plus immortel, je l'aimais et j'avais besoin de lui. (...) J'ai pensé : voici le passeur, le père et le contemporain des morts et des vivants, le gardien, le nourrice, vrai roi du Théâtre, celui qui suspend, en entrant sur scène le combat entre l'esprit de légende et l'esprit de réalisme. [15]

Cette invention correspond chez l'auteur au besoin d'élargir la dimension spirituelle du théâtre dont la scène est conçue comme le lieu d'une purification où le spectateur se trouve confronté aux problèmes essentiels de la vie humaine : “Mets ta main sur ta mort, ô humain, distingue entre l'essentiel et l'insignifiant, et à partir de là, tu sauras dans quelle direction est la vie” [16]. La quête d'une nouvelle spiritualité chez Cixous répond à la recherche de Mnouchkine d'aller plus loin que Copeau et de doter la comédie de notre temps et d'une dimension épique qui dépasserait les limites étroites d'une intervention sur le présent immédiat et - à la suite de l'apprentissage chez Shakespeare - d'une dimension cosmique qui permettrait la représentation des dieux sur la scène, à savoir des forces archaïques, civilisatrices, collectives. En ce sens, l'épreuve shakespearienne est révélatrice, car elle a permis à la compagnie de se confronter d'une manière approfondie au théâtre oriental. Le théâtre oriental apporte avant tout, outre des techniques différentes de jeu corporel, la découverte de la manière dont les dieux peuvent être représentés :

Le théâtre oriental, c'est quelque chose pour moi de plus intérieur. C'est le lieu de formes absolues, métaphysiques. Je l'utilise plutôt comme une nourriture. Le théâtre oriental c'est la région des “dieux”. Comment marche un dieu au théâtre ? C'est une vraie question. Il faut chercher. [17]

Quand les dieux sont rétablis dans le cosmos, le regard sur les humains et leur(s) histoire(s) change. Avec Sihanouk, Mnouchkine réintroduit le héros qui devient symbole de l'être humain, de ses peines et de ses joies, de sa lutte avec le destin ou de sa soumission à la fatalité. Cette idéalisation partielle d'un “Grand” diffère de la conception antérieure, plus critique, formulée notamment dans la “Parade des grands” au début de 1793.

Lors du cycle des Shakespeare, Mnouchkine et Cixous ont approfondi, nuancé leur regard sur les faiblesses humaines des personnages. Elles ont travaillé à rendre plus complexe leur profil psychique tout en préservant le jeu corporel outrancier et caricatural dans le style de la commedia dell'arte : “L'homme qui voit un homme être inhumain, et cependant, cet inhumain là parle de Dieu et a tout l'air d'un homme” [18]. Désormais, la vision d'un humanisme spirituel sera prépondérante dans la conception des personnages, et sous cet aspect, Sihanouk et L'Indiade forment un ensemble. Le théâtre recouvrera chez Mnouchkine, au-delà de Copeau, une de ses plus anciennes fonctions, celle de la manifestation rituelle : “J'avoue que le Théâtre est une forme de religion : je veux dire que l'on y éprouve ensemble, dans le re-ligare, le re-liement, le recueillement des émotions” [19].

L'Indiade, ou l'Inde de leurs rêves

Au premier regard, rien ne semble avoir changé dans la Cartoucherie d'Ariane Mnouchkine depuis l'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk : après l'entrée par l'étroite porte aux battants rouges seulement entrouverts, le spectateur pénètre dans un autre monde, magique. Une fois encore, il est l'invité d'un peuple. La tragédie de la débâcle du Cambodge était conçue comme une messe laïque pour la Nation, ouverte par l'hymne national cambodgien que les spectateurs et les comédiens écoutaient debout.

Cette fois, c'est le sous-continent indien avec ses nombreux peuples et religions que l'on a fait venir à la Cartoucherie : les acteurs se sont métamorphosés en Indiens, et cela d'une manière si parfaite, si complète, si trompeuse, que le spectateur arrivant de l'extérieur se met à douter de lui-même, son imagination fait-elle miroiter ces images devant ses yeux ou s'agit-il plutôt d'un rituel de la représentation planifié jusque dans les moindres détails ? Pas de début abrupt, les spectateurs sont lentement aspirés dans le flux de la représentation. Comme dans ses pièces sur la Révolution, Mnouchkine raconte l'histoire et la traduit en images théâtrales à partir de la perspective du peuple et sous l'angle de la vie quotidienne. Cependant, les “Grands” ne sont plus ignorés, dans l'idée que le peuple serait le moteur de l'histoire ; les “héros” de l'histoire - selon le modèle shakespearien - paraissent sur la scène comme les puissants qui décident du destin des faibles : dans L'Histoire terrible mais inachevée..., Norodom Sihanouk, ses confidents et ses ennemis sont montrés, de même que Nehru, Gandhi, Jinnah, le marquis Linlithgow ou Lord Mountbatten dans L'Indiade. Ainsi alternent des scènes au Congrès ou des discussions entre Azad, Nehru, Sarojini Naïdu et Jinnah avec des séquences de la vie quotidienne des petites gens : le paysan du Punjab, qui, durant le partage du pays, a perdu famille et biens, deviendra un assassin ; la mère musulmane qui ne veut pas quitter New Delhi et sera tuée avec un de ses fils par des hindous fanatiques ; Bahadur, le montreur dont l'ourse Moona Baloo (il est facile d'y reconnaître une allusion à Ruyard Kipling, auteur non seulement du célèbre Livre de la jungle mais aussi de Kim, excellente description de L'Inde coloniale) attaquera ses amis dans les troubles et devra être tuée par Bahadur lui-même, rappelant ainsi sur le mode allégorique cette Inde délaissée, qui ne sait plus distinguer entre amis et ennemis.

Le chemin de l'Inde vers l'indépendance, qui est en même temps l'histoire de la division du sous-continent, devient pour Mnouchkine et Cixous une histoire dans laquelle, envers et contre toutes les évidences et au-dessus des discussions politiques et religieuses, l'amour triomphe :

Peut-on parler d'amour aujourd'hui, publiquement, haut, dans les sphères publiques, politiques ? Peut-on parler d'amour, avec amour et sans dérision à l'époque télévision ? Non, aujourd'hui l'amour est relégué dans les étroites intimités, interdit en hauts lieux. Aimons-nous les uns les autres, quel chef d'Etat peut-il se permettre de dire cela ? [...]Oui, en ce temps-là, hier à peine, quand l'Occident était tatoué par Hitler, on brûlait d'amour en Asie, et une partie de l'humanité vivait sur cette terre même une époque sublime. [20]

Mnouchkine et Cixous nous montrent à travers des images inconnues et pourtant familières dans leur quotidienneté une Inde faite de rêves multiples. Ces images ne prétendent pas en premier lieu à l'exactitude historique ; le Théâtre du Soleil tend un miroir exotique au spectateur afin qu'il y reconnaisse ce qui unit les êtres humains au-delà de leurs différences mentales et culturelles. Redécouvrir dans le lointain ce qui est proche et le regarder avec étonnement - telle est la transformation que Cixous et Mnouchkine imposent à la distanciation brechtienne. Comme chez Brecht, cette distanciation opère dans un but didactique voire idéologique ; mais il s'agissait pour Brecht de déchiffrer les mécanismes sociaux afin de rendre la société plus juste, le Théâtre du Soleil, lui, entreprend l'analyse de l'être humain qui, plongé dans la civilisation matérialiste occidentale a perdu ses racines spirituelles et a en ce domaine beaucoup à apprendre de l'Inde et de l'Asie :

Et Gandhi ? Gandhi est tellement au-dessus de tout être humain, qu'il s'installe, de lui-même, extrêmement près de chaque cœur. Non, Gandhi n'est pas plus difficile à “imiter”, et pas moins difficile qu'un Jésus, un Abraham, ou un mystique musulman. Il est sans pareil, unique, aussi incompréhensible et perceptible que le soleil. Il suffit de se laisser éclairer par lui. À travers n'importe quelle nuit, y compris la mienne, il perce. Même si l'on ne le comprend pas toujours, on est toujours compris par lui, baigné de sa lumière et conduit par son rire. [21]

La Ville parjure ou le réveil des Erinyes

La Ville parjure ou Le réveil des Erinyes par le Théâtre du Soleil, écrite par Hélène Cixous et représentée en 1994 à la Cartoucherie de Vincennes, se rattache directement à la dernière partie du cycle des Atrides, les Euménides, dont Cixous avait signé la traduction en collaboration avec l'helléniste Pierre Judet de la Combe. La Ville Parjure pose le problème de la responsabilité des politiciens et celui de l'indifférence des intellectuels et de leur silence complice lors du scandale du sang, cette “nouvelle forme de génocide” [22]. Le scandale du sang né en premier lieu de la cupidité des médecins propriétaires ou gestionnaires de laboratoires que les forts intérêts économiques en jeu ont poussés à agir contre leur serment d'Hippocrate, n'est qu'un symptôme de la momification de la société moderne, qui dans ses refus se montre elle-même inhumaine et sans pitié. Le cimetière, lieu des événements et du tribunal, où les puissants seront pour la première fois questionnés par ceux-là mêmes qu'ils ont mis hors la loi, est le dernier refuge de la liberté sous la protection de la nuit.

L'appel à l'éthique individuelle et collective ne se termine ni en une morale instructive sur l'instabilité du monde, ni par une aporie - comme par exemple, pour Oedipe roi de Sophocle ou pour Les Choéphores d'Eschyle - ni par une sentence de culpabilité - telle qu'elle est prononcée par le chœur des vieillards se lamentant sur Clytemnestre à la fin d'Agamemnon -, selon les règles de la tragédie grecque. L'épilogue montre les morts et leurs Erinyes heureux dans l'Elysée, qui, de loin, rappelle la rose du ciel dans le Paradis de Dante. Les bienheureux regardent, sans colère, vers la terre ; l'harmonie cosmique les rend conciliants. “Le théâtre a besoin de sa dose homéopathique de fiction pour que la réalité passe, pour que l'on soit proche de la vérité humaine et des passions de l'âme” [23] explique Ariane Mnouchkine pour justifier cette fin étonnante. Lorsque l'on lui demande à quoi elle attribue le succès mitigé de ce spectacle, elle reconnaît un manque de clarté envers le public : “Peut-être que la presse et nous-même n'avons pas su expliquer que ce n'était pas un spectacle télévisuel documentaire, mais une tragédie sur l'érosion de la conscience et de la responsabilité à notre époque, avec de vrais personnages” [24]. Le spectacle porte sur cette réalité politique et sociale d'aujourd'hui, avec ses scandales rapportés quotidiennement par les médias, qui effraient, insécurisent et démotivent. Que l'agréable fin, fictive et métaphorique, que constitue l'heureuse présence de la vie après la mort soit comprise comme une exhortation, une aide apportée à ce monde caduc, n'est pas certain. Le spectateur, même s'il fait partie de la garde rapprochée du Théâtre du Soleil, peut être parvenu lui aussi à une désillusion par rapport à la réalité sociale qui le rend insensible à ces encouragements : il est lui-même objet de cette momification, que la reine, suppliant le roi, décrit comme le symptôme de la maladie de la société :

Je voulais parler de cette maladie qui sévit
Dans le palais, à la cour, dans les Grands conseils
Cette atrophie des nerfs qui conduisent au cœur.
Ils ne sentent plus rien ces personnages,
Ils n'ont plus d'images dans l'imagination.
La Pitié a beau tenter de leur lancer aux yeux
Les actes les plus terribles qui se commettent
En ce moment même sous nos riches fenêtres,
Ils n'ont pas une larme,
Ils sont vidés de leurs organes ?
Il y a une cavité déserte au milieu de leur poitrine ?
L'odeur fauve de la haine qui souffle de la ville
Et monte contre leur face devrait les alerter,
Sinon les émouvoir. Mais plus de flair,
Ni oreille, ni oeil, ni nez
Ils ont oubliés qu'ils sont des mortels,
Eligibles, écrasables, chassables ?
Détestables. Que faut-il faire pour les réveiller ? [25]

A partir de textes dramatiques existants, le Théâtre du Soleil créait à travers le cycle des Shakespeare et la trilogie des Atrides, son propre système de références qui donnait une cohérence formelle aux spectacles. L'écriture théâtrale se trouvait ainsi poussée vers de nouvelles dimensions symboliques et métaphoriques de la réalité en retrouvant pour le présent cette aura mythique et sacrée qu'elle avait perdue lors du long processus de civilisation. LaVille Parjure semble inverser ce processus d'un retour enrichissant vers le passé puisque la piècese réfère d'abord à la réalité politique et sociale d'aujourd'hui etsemble ignorer en quelque sorte qu'elle n'est pas une “ tranche de vie ” mais qu'elle est elle-même fiction.

Les responsables politiques, placés sur le banc des accusés à la suite du procès contre le docteur Garretta, sont représentés par les tipi fissi modernes X1 et X2. Le flou du discours parfois lyriquement emphatique de ces personnages, qui contraste avec leur réduction schématisée à la manière d'une sculpture, n'est pas seulement une caractéristique stylistique de la prose dramatique de Cixous, il provient du rapport immédiat de la pièce avec le présent : le spectateur, familiarisé avec l'actualité, comprend ce dont il est question et complète le sens à partir du cas concret, alors que celui-ci n'est expliqué que par allusions et en creux.

Dans les deux fresques politico-historiques, Sihanouk et L'Indiade, Cixous pouvait fixer la chronologie des événements, mettre au point la configuration de ses figures de scène par rapport aux protagonistes historiques. Ce tableau synoptique ne s'applique aucunement à La Ville parjure. Ici, Cixous manie librement les époques, les personnages et les dimensions de sens. Il en résulte un patchwork de l'histoire mais aussi des formes théâtrales, qui lie les Grecs au théâtre élisabéthain et inclut quelques allusions à l'actualité - un plaisir certain pour le lecteur, mais qui risque de lasser le spectateur, lequel souhaite comprendre au moment du jeu, et non après coup.

Dans les Euménides, Cixous présente les Erinyes comme le sacrifice de la justice à la paix citadine, un tribut qui signifie trahison : “[la justice] est une infamie légale au service d'une cause supérieure, la paix” [26], dit-elle dans sa préface, et elle reconnaît dans le fait de démettre de leur pouvoir ces vieilles protectrices de la loi, le matricide encore et toujours répété : “Ce sont ces vieilles gémissantes, tenaces, qui me martyrisent. Comme si dans chaque crime c'était la vieille femme que je tuais. Le crime c'est ça : c'est ma mère que je tue - la vie, ma mère” [27]. Ces Erinyes constitueraient, mais comme une ébauche, l'équivalent au complexe d'Œdipe freudien, auquel Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet se sont opposés dans leur livre Œdipe et ses mythes [28].

Dans la Ville parjure, ces déesses, représentantes apaisées du non-dit, reviennent sur terre après un sommeil de plusieurs milliers d'années, pour venger l'injustice faite aux démunis et aux faibles. Cependant, la mère, leur alliée de cœur, les retient :

La mère :
Tout ce que je demande c'est : un mot.
Ce mot-là je le veux absolument.
Un seul mot, mais le mot tout-puissant,
Celui qui a le pouvoir d'interrompre l'assassinat.


Les Erinyes :
Et comment donc s'appelle ce mot extraordinaire ?


La mère :
“ Pardon ”
Tel est le mot que je veux entendre
Venu de ces lèvres-ci et de ces lèvres-là.


Les Erinyes :
Un mot ??! Et tu le demandes à cet assassin ?
Mais quelle est la force d'un mot
Comparée à l'expiation sanglante ?
Pardon ! Pardon ! Mais n'importe qui
Peut les prononcer, ces deux syllabes :
Paar-Dong ! C'est facile !
Non, aucun mot jamais
Ne remplacera un sacrifice de bœufs ou de porcs. [...]
Oui, seul le châtiment gouverne les humains
Pour leur bien, lui seul est guérisseur. [...]


La mère :
Alors, dès que le mot est dit,
C'est la fin du malheur.
Les grandes portes du ciel où demeure la Grâce
Qui efface les crimes et les ressentiments
S'ouvrent aussitôt, et tous ceux
Qui, en ce moment même, sont armés jusqu'aux dents
Dans les deux camps, d'un commun accord
Sortent de l'Enfer
Où nous bouillons depuis tant d'années. [29]


La mère s'oppose, dans un langage religieux, à la soif de sang de ses sœurs antiques. Au nom du pardon, le tribunal ne siégera pas, comme l'espéraient les SDF dans le reflet utopique d'une société potentiellement juste et libre. Le règlement de compte avec les malfaiteurs, pour lequel les Erinyes furent ramenées sur terre, n'aura pas lieu. La catégorie chrétienne du pardon est incompatible avec la forme de la tragédie antique qui, justement, laisse l'homme impardonné devant les dieux et le livre seul face à son destin. L'intrusion du pardon amène la notion de repentir, donc de la réversibilité de la faute, tandis que la tragédie grecque est construite sur l'idée de l'irréversibilité de l'erreur initiale et, par là, fatale. Le pardon détruit le champ de force dramatique et ne livre cette explosion des pulsions ni à la conscience ni même à la réflexion, mais au ridicule. La passion dramatique, qui fut choisie comme point de départ, à savoir la mère qui déplore le sacrifice de ses deux fils innocents, se heurte au dérisoire de cette fracture du discours dramatique, dont résultent essentiellement le désarroi et la résistance du spectateur. Alors que les sans-logis, derrière la barrière de fer, prêtent l'oreille à l'accusation et à la défense et continuent à se placer du côté de la justice, se produit un grand moment de théâtre. Les souvenirs des associations du Théâtre du Soleil à des débats pour la liberté et la justice dans la société renaissent dans l'esprit du spectateur et à cet instant, le public “accroche” au spectacle. La volonté d'un changement, sur lequel les Erinyes et les Clochards, la mère, Eschyle le gardien du cimetière et la Nuit, protectrice de leurs plans, sont tombés d'accord, n'aboutit à rien, leur projet part en fumée comme un effet dramatique inachevé, lorsque Forzza remplace le roi mourant et son épouse inutilement perspicace et, prenant le pouvoir, se dote des moyens “d'épurer” le cimetière.


Ni la thématique ni la forme de ce Lehrstück qui se veut une fable - au sens brechtien - sur le monde contemporain ne provoquent la réticence du public, mais la transposition dramatique de la réalité sociale opérée par Hélène Cixous trouble la perception du spectateur. L'auteur n'est venue que tardivement, à travers sa rencontre avec Ariane Mnouchkine, à écrire pour une troupe, avec la représentation comme but direct, même si son très remarqué Portrait de Dora (1976) avait déjà été joué. Dans une interview détaillée avec Françoise van Rossum-Guyon [30], elle décrit les stades de son écriture. Le choc émotionnel déclencheur de l'écriture - “je ne peux écrire qu'à partir d'une émotion, il faut que je reçoive un ‘coup'” [31]-, c'est pour La Ville parjure, la mort d'enfants innocents, dont se sont accommodés des médecins cyniques et profiteurs. La mère incarne dans la pièce le personnage subissant ce bouleversement affectif qui prend la place de fatalité antique. Cependant, ce choc se limite à l'expérience propre de l'auteur, et ne mène qu'à la création de personnages, avec lesquels Cixous peut s'identifier : “J'ai un problème avec les personnages. Je n'ai jamais écrit de roman, je n'ai jamais pu me voir inventer des personnages romanesques et surtout des hommes, parce que je ne peux écrire qu'avec le corps, à partir de ce que je sens. Le corps est ma source” [32].

De l'expérience limitée et limitante naissent de très beaux personnages ambivalents, mutants des deux sexes : Eschyle par exemple, le protecteur maternel, ou encore l'oiseau sombre de la Nuit qui gouverne le temps ici-bas et l'espace dans l'au-delà. Cependant, les critères d'expérience et d'émotion demeurent alors insuffisants, lorsque les tipi fissi des institutions d'État ou des groupes de pression doivent être visualisés. La densité physique du jeu est apportée par l'acteur ; son expérience affective charge le personnage. L'émotivité domine, c'est elle qui guide le regard sur la réalité sociale parce qu'elle est pour Cixous garante de la liberté individuelle : “Je n'ai pas le goût politique. Le politique est inscrit dans mon tissu mais comme la damnation sociale. Depuis toujours je suis prise dans le filet politique. Je suis otage, comme nous tous, des scènes politiques, de l'Histoire, mais je n'écris pas de cela, j'écris plutôt de ce qui reste librement humain à travers la captation ou la capture du politique” [33].

Conformément au souhait d'Ariane Mnouchkine, Cixous a tenté d'écrire une pièce didactique dans le style de la Comédie de notre temps, L'Âge d'or : “Nous désirons un théâtre en prise directe sur la réalité sociale, qui ne soit pas un simple constat, mais un encouragement à changer les conditions dans lesquelles nous vivons” [34]. Une pièce dont les personnages actifs sont pourtant atteints de cécité - comme l'était Abdallah, le nouvel Arlequin - de sorte qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ni dans quel but ils agissent :

D'abord le théâtre c'est la scène de notre aveuglement. Au théâtre je vois des aveugles, au théâtre, tel que je l'écris dans des pièces historiques, les personnages sont aveugles, ils ne savent pas ce qu'ils sont en train de faire, où ils vont, c'est en quoi nous en sommes contemporains. En tant que contemporains de nous-mêmes nous sommes des aveugles, nous ne savons jamais ce que nous faisons ni où nous mènent nos pas. [35]

Le scepticisme perspicace de Cixous, sa psychologie la préservent des excès du réalisme socialiste et des héros positifs. Elle écrit des pièces dans la pièce ou des ‘non-pièces' : L'histoire (qu'on ne connaîtra jamais) par exemple, dans laquelle il s'agit de savoir comment ça aurait pu être, si..., ou bien comment ça serait presque devenu.... Avec La Ville parjure, elle a écrit une pièce sur le “presque” combat contre la Mafia, la “presque” libération du cynisme et la “presque” justice pour les SDF. Le théâtre de Mnouchkine fut toujours un théâtre porteur de messages et son jeu nécessite ces appels. Dans la perspective de Cixous ces messages se font surtout à la veille d'une décision : “Le théâtre que j'aime c'est ce que j'appellerai le théâtre de la veille, dans Shakespeare la veille d'une bataille, ou la veille d'une décision” [36].

Et soudain, des nuits d'éveil

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonsoir. Depuis votre dernière venue, il s'est produit chez nous un événement qui a changé nos projets, notre emploi du temps, et finalement notre état d'esprit et toute notre vie. Il nous est depuis apparu que ce coup de théâtre survenu dans notre théâtre vous était destiné. [37]

Sur ces paroles de Jacques, qui assumera le rôle du meneur, s'ouvre le spectacle du Théâtre du Soleil, Et soudain, des nuits d'éveil. Il a quelque peu dérouté les critiques qui y ont vu avant tout des allusions transparentes aux événements vécus au jour le jour à la Cartoucherie pendant l'été 1995, lorsque les gens de théâtre rassemblés autour d'Ariane Mnouchkine se sont engagés pour les sans papiers réfugiés dans l'église Saint Bernard. Cette irruption de la réalité dans le monde clos de la fiction théâtrale n'est pas nouvelle au Théâtre du Soleil. Le jeu sur scène se nourrit du monde extérieur et il se prolonge en actions pour le bien commun de la société, en cela, Et soudain, des nuits d'éveil ne diffère ni du triptyque de la création collective des années 70 ni de la Ville parjure.

Le prétexte à l'intrigue est simple : une représentation de la Tibetan Opera Company est brusquement interrompue par l'arrivée de la délégation tibétaine en mission officielle à Paris, que le gouvernement français a refusé de recevoir et qui décide de rejoindre le théâtre afin d'exercer une pression politique à partir de cette “ maison du présent ”.

La création à partir d'improvisations et l'auto-représentation de la troupe sont des éléments caractéristiques de ce spectacle. Le film Molière (1976-1977) avait renvoyé l'image d'une compagnie idéalisée, comme le formulait encore Jean-Claude Penchenat dans sa rétrospective en 1994 :

Cette histoire à laquelle nous avions besoin de croire, Ariane a su lui donner un nom, et nous avons vécu et ils vivent encore cette utopie à laquelle nous étions seuls à croire. (...) l'enseignement du Théâtre du Soleil et d'Ariane reste essentiel en nous. Il a fait de nous une famille d'acteurs à part. [38]
Au sein de cette communauté de théâtre naissait la comédie classique et son plus grand auteur, Molière. Par ce film, le Théâtre du Soleil avait fait sienne la tradition de Molière et l'aspiration à la renaissance moderne du théâtre, par la Comédie de notre temps de Jacques Copeau.

À l'opposé, Et soudain, des nuits d'éveil privilégie, à la suite du film Au Soleil même la nuit qui accompagnait les répétitions du Tartuffe, le registre de l'autoparodie : la compagnie qui reçoit le groupe des hôtes lointains est dépassée par ce prolongement de la vie dans le théâtre, et le rapport étroit avec le public qui, dans un élan de solidarité, ne quitte plus la salle, la met mal à l'aise, comme l'exprime Madame Gabrielle, la gardienne du théâtre :

S'il vous plaît, Monsieur, vous avez un garage ? Vous avez une villa ? Vous avez un jardin ? Vous avez des tentes de camping ? Alors vous prenez la délégation. Ici c'est un théâtre, Monsieur. Ce n'est pas l'armée du Salut. Ici, on a des représentations tous les soirs, Monsieur. On a des gens qui viennent, qui payent pour voir des spectacles, pas des Tibétains couchés ou qui font de la cuisine, Monsieur. Il ne faut pas proposer des choses comme ça quand on ne sait pas à quoi on s'engage Monsieur. C'est qui lui ? Un journaliste ? Un provocateur ? Il ne faut pas leur laisser la parole. [39]

Madame Gabrielle rappelle dans son gestus Eschyle, le gardien du cimetière dans la Ville parjure, mais elle représente aussi celle qui est toujours présente au théâtre, qui y dort et qui y veille, la patronne en personne.

La méthode d'élaboration du spectacle à partir d'improvisations n'est pas nouvelle. La compagnie renoue avec la technique qu'elle s'est appropriée dès ses débuts dans la tradition de la commedia dell'arte. Mais l'émergence de types au sein de la communauté de théâtre qui laisse libre cours à l'autoparodie est peut-être liée à la correlation établie entre improvisation et écriture.

À partir des improvisations enregistrées sur bande vidéo, le spectacle est réécrit par Hélène Cixous, “harmonisé” dans une écriture limpide, proche de l'expression orale. L'écriture passe allègrement les notions sacro-saintes du théâtre différent et militant au tamis fin de son ironie. À titre d'exemples : l'ouverture de la communauté théâtrale sur le monde, la complicité entre salle et scène, le public bien-pensant qui lui aussi, est impitoyablement décomposé en des types tels qu'un prêtre en difficulté avec ses supérieurs hiérarchiques, un spectateur belge, homme d'affaires qui renonce à retourner à Bruxelles, ou la spécialiste tibétologue qui croit au karma du peuple tibétain. Le personnage du Lama renvoie au Mahatma Gandhi et aux faiblesses que la troupe a pu éprouver lors de la création de l'Indiade. De prime abord, l'auteur a ici la tâche bien circonscrite de renforcer la structure textuelle de la trame, comme Ariane Mnouchkine l'avait formulé depuis l'expérience de Sihanouk :

Ce qui est beau chez Molière, c'est l'équilibre auteur-acteur. Molière est quelqu'un qui, à un moment donné, s'est mis à écrire des textes pour les acteurs, en poète et en connaissant le théâtre, la dynamique du théâtre et les besoins d'un acteur. (...) Pour nous, ce qui est important, c'est d'être prêts à accueillir le poète du théâtre. Soyons un bon outil pour ce poète-là. Et pour sa part le poète doit laisser se développer chez les acteurs l'imagination. Il s'agit de part et d'autre de se donner mutuellement la liberté et les moyens d'aller plus loin. Si les choses qui sont du domaine du corps de l'acteur sont trop ‘préécrites', si l'auteur occupe d'avance la place de l'acteur, alors ces ‘choses' ne peuvent plus être ‘écrites', par l'acteur, ni jouées ni improvisées : bref ça ne peut plus ‘bouger'... [40].

À y regarder de plus près, l'écriture échappe à la stricte surveillance de la transcription harmonisée, elle crée des écarts en se laissant emporter par la situation. Hélène Cixous révèle ici, plus que dans ses pièces antérieures, une profonde connivence avec le processus de création propre à Ariane Mnouchkine. Mnouchkine part du personnage (dans l'improvisation) et du lieu pour créer la trame d'un spectacle. Cixous dote ce personnage de la parole en lui conférant un ton, souvent emprunté à un des auteurs avec lequel elle se sent en harmonie, Shakespeare par exemple. Elle obtient ainsi des effets déroutants par la transplantation de ce style dans un milieu inhabituel, c'est un jeu de superposition et de distanciation dans la langue :

Or, l'une des caractéristiques du moteur du texte cixousien tient à ce que l'écriture fonctionne comme une merveilleuse boîte de changement de vitesses : elle recourt à un ensemble de dispositifs touchant à la grammaire, à la syntaxe, au lexique, par quoi s'opèrent accélérations et ralentissements, griserie, cahotements, coups de frein sur un mot qui déboule, une phrase qui dévie et transporte, le départ inattendu d'un raccourci. Comme si l'écriture (et la lecture à sa suite), de commencer en non-connaissance des causes et des choses, c'est-à-dire en connaissance de cette non-connaissance, se trouvait plus sensible au mouvement qui l'emporte. Comme si, contrainte, d'entrée, de se laisser aller, c'était à la vitesse qu'elle s'en remettait pour la traversée des significations. [41]

La mise en abyme s'arrête au moment où la dimension essentielle est atteinte. La comédie improvisée ne se termine pas par un dénouement heureux. Certes, les Tibétains ne se sont pas immolés comme ils en avaient l'intention, et pour un instant, le temps d'une longue citation du Dalaï Lama, l'utopie d'un “Tibet libre, lieu d'une culture unique des sciences de l'âme” est rendue présente sur scène. Celle-ci reste cependant éphémère, le gouvernement français n'a pas voulu annuler ses ventes d'armes à la Chine et le spectacle se termine sur la voix off du théâtre documentaire :

Les avions étaient donc partis pour la Chine. Aussitôt la police prit le théâtre d'assaut. Les tibétains furent embarqués et expulsés. Mais au moins, nous disions-nous, l'immolation n'avait pas eu lieu. Ce n'est que deux jours plus tard que nous apprîmes qu'une femme et un homme s'étaient immolés sur la place principale de Lhassa. [42]

L'engagement que préconise l'écriture d'Hélène Cixous tout autant que le théâtre d'Ariane Mnouchkine est au fond un engagement d'inspiration existentialiste : face à la mort, l'être humain redécouvre les choix essentiels de sa vie : “Ta tombe inspire la vie. Cependant que le vivant vient assurer le mort qu'il n'est pas mort. Qui va vers l'homme, passe nécessairement par la Bête, la tombe et les étoiles” [43]. En ce sens, Et soudain, des nuits d'éveil constitue une nouvelle étape dans la recherche du genre dramatique futur. Grâce au mode du récit "improvisé" le Théâtre du Soleil, après être passé par le cosmos, redécouvre la dimension humaine de l'histoire :

Le Théâtre a gardé le secret de l'Histoire que Homère avait chanté : l'histoire est faite d'histoires de maris, d'amants, de pères, de filles, de mères, de fils, de jalousie, d'orgueil, de désir. Et il y a des visages qui lancent des flottes de mille voiles et détruisent des villes. [44]

En passant par le cycle des Shakespeare et celui des Atrides, le Théâtre du Soleil s'est doté de la dimension épique et cosmique afin de raconter l'histoire de notre temps. Il est revenu avec son spectacle collectif au point de départ, à L'Âge d'or dans la mesure où il a renoué avec le récit de la réalité sociale qui se raconterait au théâtre et parmi les gens de théâtre. Il a ainsi dépassé la vision de Jacques Copeau pour mieux la rejoindre : la Comédie de notre temps reste le projet fondamental d'Ariane Mnouchkine et de sa troupe.

Tambours sur la digue

Ariane Mnouchkine et sa troupe ont donné leur spectacle Tambours sur la digue en 1999. Si l'on songe à l'inondation au Mozambique qui s'est produite un peu plus tard, le thème choisi semble prophétique. Il est facile de remonter la succession des responsabilités et de désigner qui, par cupidité et par irresponsabilité, a construit les mauvaises digues. Durant la première partie, la tension de l'action, une notion anti- brechtienne, que Mnouchkine réintroduit dans ses spectacles depuis qu'elle s'est consacré à Eschyle avec son cycle des Atrides, trouve son ressort dans la lutte contre la fatalité : “Il est encore temps de réparer”. Cependant, les tentatives de réparation échouent, la lutte contre la fatalité semble altérée dès le départ. Intervient alors une notion métaphysique confortable : “Les dieux n'ont pas voulu que je répare”. Ce rapport infantile à une constellation fatale, déclenchée par inadvertance, lie Tambours sur la digue à La Ville parjure, et pose ce spectacle comme le deuxième volet d'une trilogie ouverte sur notre présent, dont le ton fut interrompu par l'intermède Et Soudain, des nuits d'éveil, et où les spectateurs, sont, comme autrefois les statuettes du peuple khmer, les véritables acteurs, paralysés par la découverte de leur destin qu'ils entrevoient comme dans un miroir sombre. L'épopée de notre temps se mue inexorablement en tragédie pour Mnouchkine, puisque le dilemme posé ne trouvera et ne pourra trouver de solution acceptable : qui décide quelle partie de la population doit être sacrifiée pour sauver l'autre ? Et qui pourra s'attribuer une telle responsabilité paradivine ? La réponse - l'unique espoir - semble provenir de la lucidité, seule attitude encore possible face à ce naufrage : “Personne ne survivra à l'assaut des Dieux. Nous n'avons eu des yeux que pour nous”. L'idée d'un jugement qui rendrait justice en rétablissant la distinction entre ceux qui agissent - puisqu'ils seront enfin jugés selon leurs actes - et ceux qui subissent les conséquences, constitue le fil rouge des spectacles au Théâtre du Soleil depuis les séances révolutionnaires de la section de Mauconseil en 1793.

Au niveau de la lecture théâtrale, Tambours sur la digue se présente comme un aboutissement de si longues années de préparation. Pour le dire avec les paroles de Goethe, lorsqu'il voyait enfin l'Italie de ses propres yeux : Tout y est, depuis le début dans la foulée de Mai 68, et tout prend un sens nouveau, comme si, dans ce spectacle aux couleurs sombres et aux lumières blafardes dont le rouge et le blanc lancent des appels comme des ponts entre la salle et la scène, le Théâtre du Soleil s'accomplissait dans son projet et rendait, par sa pratique du jeu, le présent de la scène à sa dimension profonde : "Violemment, serviteur de la tragédie, tu as confié au temps / À l'immensité du théâtre" à travers Œdipe “ l'homme l'aveuglant ” [45].


Anne NEUSCHAFER
Texte écrit pour ce site en mai 2004.

À lire : Anne NEUSHAFER, 46] : qui ne se souviendrait alors du lointain peuple de 1789 comme du peuple khmer de Sihanouk et de la foule multinationale de L'Indiade ? Quelque chose, toutefois, semble changé, puisque la représentation ne tend plus au public - même pour quelques instants - le miroir d'un monde meilleur et l'écriture s'en ressent, elle se fait hésitante, provisoire : “Le Théâtre n'est plus le lieu des représentations. Le voilà qui devient la maison du présent. Et quel présent ! Un présent tendu, fragile, menacé d'une interruption mortelle” [47]. En 1972, le deuxième volet du diptyque sur la Révolution française, 1793, s'était voulu “un spectacle de science-fiction” [48] réalisant avec la section de Mauconseil l'utopie d'une société plus équitable. Trois ans plus tard, L'Âge d'or se terminait par l'appel à un monde meilleur qu'évoquait la conteuse Salouha : Le jour se lève ! Vous le voyez comme il se lève ! Mais alors nous sommes en 1975 et rien de tout ce que nous avons raconté n'est fini. Alors Abdallah, il y tombe toujours des échafaudages et Pantalons mille [sic!] sont toujours aussi mornes, les puissants, ils ne sont pas encore grimpés au mur, mais ils ont déjà le pied levé, et peut-être que maintenant, que nous allons nous quitter et que vous allez partir vers la ville, peut-être que tout va commencer... [49] La scène du théâtre, ouverte et offerte au monde, reste cependant cette “maison du présent”, celle qui représente le monde. L'impuissance à agir directement sur la réalité sociale réunit la troupe du Théâtre du Soleil et les spectateurs “à la maison” qu'est le théâtre. C'est elle qui réconcilie la salle et la scène. Ainsi, toute réflexion politique au Théâtre du Soleil s'accompagne-t-elle d'un regard dans le miroir du théâtre ; tout acte extérieur devient geste sur la scène. Le spectateur attentif pénètre alors dans l'atelier de la création théâtrale contemporaine où acteur, auteur et metteur en scène se déstabilisent afin d'explorer l'inconnu : “Faire du théâtre, c'est toujours se demander comment on investira la citadelle quand on n'a pas les moyens” disait Antoine Vitez [50]. Et soudain, des nuits d'éveil nous propose une nouvelle approche de l'écriture par l'improvisation, une nouvelle approche de la création collective : Les mots justement, je ne dois pas oublier d'en parler. Les mots aussi, bien sûr, sont de la même modestie ambiante. À la maison - car on est à la “maison” - , entre nous , - il s'agit d'un “nous” simple et domestique -, on se parle à demi-mots, par interjections, par signes, d'ailleurs ce “nous” est à moitié tibétain. Alors circule sous notre toit une langue de bric de broc et de tashi delek, légère, légère, gaie, économe, urgente, allusive. L'auteur elle aussi est suspendue et improvisée ! Elle tient bien un journal, mais vraiment en cachette. [51] Revenir en 1997 à la création collective signifie autre chose encore : si, dans la première et deuxième décennie de ce siècle, Jacques Copeau avait poursuivi l'idée d'une Comédie de notre temps, Ariane Mnouchkine inscrit sa pratique théâtrale depuis les années 70 dans cette même voie. À partir de la rencontre avec Hélène Cixous ce projet fondamental se détache progressivement du modèle de la Comédie improvisée d'où émergerait un jour un nouvel auteur et s'oriente davantage vers la tragédie quotidienne et son rituel de la représentation : Theater for me is tragedy, characters, combats against destinality, “fate”. I think that only in a tradition with a profoundly political message does the theater have a reason for being. [52] disait Hélène Cixous en 1997 dans une interview avec Bernadette Fort à propos de La Ville parjure. Grâce à l'auteur, aussi modeste soit-il, le Théâtre du Soleil n'écrit plus seulement “sur le sable” [53], il fait émerger de nouveaux genres dramatiques entre la comédie et la tragédie. Il ne s'agit plus non plus des notions traditionnelles d'auteur, de texte et de genre. On pourrait plutôt parler, par analogie avec le terme performer pour l'acteur d'une performance d'écriture où le spectateur est convié à assister à l'écriture sur scène, où l'écriture émerge devant lui [54]. Le tournant des Shakespeare “Le fait qu'on décide de monter les Shakespeare ne signifie pas du tout que nous avons renoncé à inventer nos spectacles” [55] avait déclaré Ariane Mnouchkine en 1981, lors d'un entretien avec Alfred Simon. Avec ce choix semble en effet se poser la question de l'abandon de la création collective. Depuis 1968, le Théâtre du Soleil ne s'était pas lassé de souligner que “tout acteur était un créateur dans le spectacle” et que la création collective comportait de façon essentielle l'écriture collective [56]. Pour le théâtre des années 80, Mnouchkine indique une autre voie, en accordant une importance nouvelle à la parole littéraire ou dramatique, enrichie toutefois par les acquis du jeu corporel des années 70. Elle ne renonce pas pour autant à son projet personnel d'écriture : Je crois qu'une troupe ne doit pas être entièrement vouée aux œuvres ou aux tentatives d'une seule personne de la troupe. J'ai eu un moment d'angoisse, réalisant que je n'avançais pas dans mon projet. Alors j'ai pensé à ces Shakespeare dont je pensais d'abord faire des exercices d'école, et qui sont devenus l'objet d'un spectacle. Après tout, même Molière, quand il ne montait pas ses propres pièces, montait les pièces des autres. [57] Le Théâtre du Soleil n'abandonne point sa conviction profonde qu'un nouvel auteur naîtra de sa collectivité : Je dis souvent aux comédiens : “Laisse Shakespeare s'occuper des mots, il fait ça très bien, toi, tu es là pour autre chose”. Ce dont l'acteur est chargé, c'est de montrer dans quelle situation et dans quel état est le personnage qui profère ces mots. Tout vient des mots mais les mots doivent venir de ce que l'acteur produit comme jeu. [58] L'espoir - et l'utopie - de se retrouver plus tard en présence d'un auteur reste constant. Mais depuis la création et l'écriture de L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge en 1985, la Compagnie admet l'idée qu'il s'agira plutôt d'un auteur vivant en symbiose avec le groupe, comme le fait Hélène Cixous. L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge Après avoir quitté “l'atelier du maître” avec le cycle des historical plays, le Théâtre du Soleil affronte à nouveau le présent : il choisit de suivre sur scène l'histoire récente du Cambodge, considérée à travers les péripéties vécues par son dernier roi, exilé et déchu à la fin du spectacle. Hélène Cixous propose la tragédie du peuple khmer comme fresque épique en deux parties, dont la première se termine sur l'alliance entre Sihanouk, les Khmers rouges et la Chine après l'échec de la république de Lon Nol, et la deuxième sur l'offensive victorieuse des Vietnamiens mettant un terme au régime de Pol Pot qui réussit cependant à contraindre Sihanouk à l'exil. Encore un fois, le Théâtre du Soleil adopte le point de vue du peuple face aux “Grands” qui le gouvernent. Le peuple est présent dans les innombrables statuettes, vêtues de costumes traditionnels cambodgiens disposées le long des murs du hall de la Cartoucherie, et qui semblent partager l'horreur et la compassion du public. Ces statuettes témoignent d'autre chose encore : aux événements historiques relatés sur scène, Hélène Cixous oppose la vision d'un Cambodge intérieur, conscient de sa civilisation millénaire, attaché à la vénération due à ses ancêtres et à ses dieux. Les acteurs adoptent un jeu corporel fortement inspiré de la commedia dell'arte qui tranche avec les costumes modernes, réalistes, et ne recourt pas aux masques, excepté pour le personnage de Norodom Suramarit, roi défunt et père de Norodom Sihanouk. Pour la première fois depuis L'Âge d'or, le Théâtre du Soleil intervient sur le présent avec un texte né au sein de la compagnie. Sihanouk est, sous cet aspect, une sorte de bilan provisoire : où en sommes-nous dans la création de ce genre nouveau qui dévoilera la réalité sociale de l'époque contemporaine ? Sommes-nous capables d'écrire le nouveau texte de théâtre ? Le projet est ambitieux : représenter l'histoire récente d'un peuple lointain devant un public non-averti. Cixous s'est largement inspirée des historical plays de Shakespeare pour la hiérarchisation des personnages qu'elle représente sous forme de clans (La Maison royale, Les Fidèles et les Amis du Roi, La Maisonnée de Lon Nol) mais aussi pour le principe d'ordre intégrant des lieux aussi différents que les États-Unis, l'U.R.S.S., la Chine, le Vietnam et l'Europe qu'elle réunit sous l'idée du cosmos : Le théâtre est l'espace où l'être humain s'éprouve comme un atome du cosmos, comme une minute du Temps, comme une question dans le multimillénaire dialogue des hommes avec les Dieux, comme un des milliards de “pourquoi” lancés depuis le mystère de la question parlante en direction du Mystère sans forme, de la Cause sans corps. [59] Si ces choix stylistiques rapprochent le texte de Cixous de ceux de Shakespeare, son écriture épouse les constellations impérieuses du travail sur l'acteur au Théâtre du Soleil : la “silhouette” d'un personnage est donnée par ses origines qui sont recherchées dans les types fixes de la commedia dell'arte que Mnouchkine fait revivre dans la réalité moderne. Ariane conserve la définition primaire d'un caractère par ses pulsions et son ancrage social, comme “bon” ou “méchant”, comme “puissant/exploiteur” ou “impuissant/exploité”. À partir du jeu outrancier qu'implique le port du masque, l'écriture verbale se glisse dans les vides psychologiques que laisse l'apparition sur scène - elle est donc foncièrement complémentaire au jeu de l'acteur et à sa présence - et elle s'adapte, conçue comme sur mesure à chaque jeu individuel. Elle peut produire par là une impression d'incohérence. En effet, depuis Sihanouk, le nouvel auteur n'impose pas le verbe, mais il le préserve par son écriture. En suivant l'évolution du jeu sur scène, il se fait aussi transcripteur, traducteur. Les textes de Cixous, conçus dans leur première version avant les répétitions, seront modifiés selon l'allure que prennent les personnages sur les tréteaux. Quelques exemples peuvent suffire pour montrer cet engrenage entre geste et parole. La représentation de Sihanouk s'ouvre sur l'hymne national cambodgien et la pièce commence par le premier leitmotiv qui lie les deux parties. Le peuple emporté par la joie de l'attente esquisse une danse au rythme de la musique et joue avec le rideau orange rappelant un temple bouddhiste. Ce préjeu renoue avec les spectacles précédents, par exemple le trio des débauchés (Sir Toby, Sir Andrew et Fabien) dans La Nuit des rois, et avec l'héritage de la commedia dell'arte, c'est à dire, l'expression de passions fondamentales comme l'angoisse ou la joie par la gestualité de l'acteur. L'attente du peuple cambodgien correspond à l'attente du public avant ce parcours théâtral qui durera près de dix heures. Le préjeu de la joie et de l'attente assume une fonction de prologue : plongées dans la même lumière claire, la salle et la scène forment encore une unité. Ce prologue du peuple crée une complicité entre les acteurs et les spectateurs qui se trouve renforcée dans la Journée de justice que tient Sihanouk lors de son arrivée et renoue avec les procédés les plus anciens du Théâtre du Soleil, par exemple avec la “Prise de la Bastille” dans 1789, où les spectateurs devenaient le véritable peuple berné de la Révolution, ou avec les sectionnaires de 1793 qui se racontaient entre eux les événements révolutionnaires et conféraient au spectateur muet le statut de témoin amical de leurs récits et de leurs passions. Autre particularité de cette mise en scène qui dévoile l'écriture comme un work in progress dont se serviront les spectacles suivants : la frontière qui sépare les vivants des morts est fragile et fluctuante. Les bons peuvent communiquer avec les trépassés tandis que les méchants n'ont plus la possibilité de demander conseil aux ancêtres. Tout s'accorde pour évoquer le passé non d'une manière nostalgique mais plutôt comme un monde qui continue dans le présent : le père porte un précieux costume traditionnel, la musique tente une citation classique sur les instruments à cordes, les gardiens du temple assistent à cette résurrection de la tradition, mi-étonnés, mi rassurés - un peu comme les spectateurs - que le passé n'ait pas complètement disparu. Hélène Cixous invente la présence des morts qui, tels de bons esprits, veillent sur l'égarement des humains au présent : Le premier personnage de L'Histoire Terrible qui me soit sorti du cœur, ce fut le roi Suramarit. Mort et bien vivant et tout de suite remarquable par son extrême vitalité. Il fut le premier, et je sus aussitôt qu'il serait toujours là, le plus vivace, le plus fidèle, le plus immortel, je l'aimais et j'avais besoin de lui. (...) J'ai pensé : voici le passeur, le père et le contemporain des morts et des vivants, le gardien, le nourrice, vrai roi du Théâtre, celui qui suspend, en entrant sur scène le combat entre l'esprit de légende et l'esprit de réalisme. [60] Cette invention correspond chez l'auteur au besoin d'élargir la dimension spirituelle du théâtre dont la scène est conçue comme le lieu d'une purification où le spectateur se trouve confronté aux problèmes essentiels de la vie humaine : “Mets ta main sur ta mort, ô humain, distingue entre l'essentiel et l'insignifiant, et à partir de là, tu sauras dans quelle direction est la vie” [61]. La quête d'une nouvelle spiritualité chez Cixous répond à la recherche de Mnouchkine d'aller plus loin que Copeau et de doter la comédie de notre temps et d'une dimension épique qui dépasserait les limites étroites d'une intervention sur le présent immédiat et - à la suite de l'apprentissage chez Shakespeare - d'une dimension cosmique qui permettrait la représentation des dieux sur la scène, à savoir des forces archaïques, civilisatrices, collectives. En ce sens, l'épreuve shakespearienne est révélatrice, car elle a permis à la compagnie de se confronter d'une manière approfondie au théâtre oriental. Le théâtre oriental apporte avant tout, outre des techniques différentes de jeu corporel, la découverte de la manière dont les dieux peuvent être représentés : Le théâtre oriental, c'est quelque chose pour moi de plus intérieur. C'est le lieu de formes absolues, métaphysiques. Je l'utilise plutôt comme une nourriture. Le théâtre oriental c'est la région des “dieux”. Comment marche un dieu au théâtre ? C'est une vraie question. Il faut chercher. [62] Quand les dieux sont rétablis dans le cosmos, le regard sur les humains et leur(s) histoire(s) change. Avec Sihanouk, Mnouchkine réintroduit le héros qui devient symbole de l'être humain, de ses peines et de ses joies, de sa lutte avec le destin ou de sa soumission à la fatalité. Cette idéalisation partielle d'un “Grand” diffère de la conception antérieure, plus critique, formulée notamment dans la “Parade des grands” au début de 1793. Lors du cycle des Shakespeare, Mnouchkine et Cixous ont approfondi, nuancé leur regard sur les faiblesses humaines des personnages. Elles ont travaillé à rendre plus complexe leur profil psychique tout en préservant le jeu corporel outrancier et caricatural dans le style de la commedia dell'arte : “L'homme qui voit un homme être inhumain, et cependant, cet inhumain là parle de Dieu et a tout l'air d'un homme” [63]. Désormais, la vision d'un humanisme spirituel sera prépondérante dans la conception des personnages, et sous cet aspect, Sihanouk et L'Indiade forment un ensemble. Le théâtre recouvrera chez Mnouchkine, au-delà de Copeau, une de ses plus anciennes fonctions, celle de la manifestation rituelle : “J'avoue que le Théâtre est une forme de religion : je veux dire que l'on y éprouve ensemble, dans le re-ligare, le re-liement, le recueillement des émotions” [64]. L'Indiade, ou l'Inde de leurs rêves Au premier regard, rien ne semble avoir changé dans la Cartoucherie d'Ariane Mnouchkine depuis l'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk : après l'entrée par l'étroite porte aux battants rouges seulement entrouverts, le spectateur pénètre dans un autre monde, magique. Une fois encore, il est l'invité d'un peuple. La tragédie de la débâcle du Cambodge était conçue comme une messe laïque pour la Nation, ouverte par l'hymne national cambodgien que les spectateurs et les comédiens écoutaient debout. Cette fois, c'est le sous-continent indien avec ses nombreux peuples et religions que l'on a fait venir à la Cartoucherie : les acteurs se sont métamorphosés en Indiens, et cela d'une manière si parfaite, si complète, si trompeuse, que le spectateur arrivant de l'extérieur se met à douter de lui-même, son imagination fait-elle miroiter ces images devant ses yeux ou s'agit-il plutôt d'un rituel de la représentation planifié jusque dans les moindres détails ? Pas de début abrupt, les spectateurs sont lentement aspirés dans le flux de la représentation. Comme dans ses pièces sur la Révolution, Mnouchkine raconte l'histoire et la traduit en images théâtrales à partir de la perspective du peuple et sous l'angle de la vie quotidienne. Cependant, les “Grands” ne sont plus ignorés, dans l'idée que le peuple serait le moteur de l'histoire ; les “héros” de l'histoire - selon le modèle shakespearien - paraissent sur la scène comme les puissants qui décident du destin des faibles : dans L'Histoire terrible mais inachevée..., Norodom Sihanouk, ses confidents et ses ennemis sont montrés, de même que Nehru, Gandhi, Jinnah, le marquis Linlithgow ou Lord Mountbatten dans L'Indiade. Ainsi alternent des scènes au Congrès ou des discussions entre Azad, Nehru, Sarojini Naïdu et Jinnah avec des séquences de la vie quotidienne des petites gens : le paysan du Punjab, qui, durant le partage du pays, a perdu famille et biens, deviendra un assassin ; la mère musulmane qui ne veut pas quitter New Delhi et sera tuée avec un de ses fils par des hindous fanatiques ; Bahadur, le montreur dont l'ourse Moona Baloo (il est facile d'y reconnaître une allusion à Ruyard Kipling, auteur non seulement du célèbre Livre de la jungle mais aussi de Kim, excellente description de L'Inde coloniale) attaquera ses amis dans les troubles et devra être tuée par Bahadur lui-même, rappelant ainsi sur le mode allégorique cette Inde délaissée, qui ne sait plus distinguer entre amis et ennemis. Le chemin de l'Inde vers l'indépendance, qui est en même temps l'histoire de la division du sous-continent, devient pour Mnouchkine et Cixous une histoire dans laquelle, envers et contre toutes les évidences et au-dessus des discussions politiques et religieuses, l'amour triomphe : Peut-on parler d'amour aujourd'hui, publiquement, haut, dans les sphères publiques, politiques ? Peut-on parler d'amour, avec amour et sans dérision à l'époque télévision ? Non, aujourd'hui l'amour est relégué dans les étroites intimités, interdit en hauts lieux. Aimons-nous les uns les autres, quel chef d'Etat peut-il se permettre de dire cela ? [...]Oui, en ce temps-là, hier à peine, quand l'Occident était tatoué par Hitler, on brûlait d'amour en Asie, et une partie de l'humanité vivait sur cette terre même une époque sublime. [65] Mnouchkine et Cixous nous montrent à travers des images inconnues et pourtant familières dans leur quotidienneté une Inde faite de rêves multiples. Ces images ne prétendent pas en premier lieu à l'exactitude historique ; le Théâtre du Soleil tend un miroir exotique au spectateur afin qu'il y reconnaisse ce qui unit les êtres humains au-delà de leurs différences mentales et culturelles. Redécouvrir dans le lointain ce qui est proche et le regarder avec étonnement - telle est la transformation que Cixous et Mnouchkine imposent à la distanciation brechtienne. Comme chez Brecht, cette distanciation opère dans un but didactique voire idéologique ; mais il s'agissait pour Brecht de déchiffrer les mécanismes sociaux afin de rendre la société plus juste, le Théâtre du Soleil, lui, entreprend l'analyse de l'être humain qui, plongé dans la civilisation matérialiste occidentale a perdu ses racines spirituelles et a en ce domaine beaucoup à apprendre de l'Inde et de l'Asie : Et Gandhi ? Gandhi est tellement au-dessus de tout être humain, qu'il s'installe, de lui-même, extrêmement près de chaque cœur. Non, Gandhi n'est pas plus difficile à “imiter”, et pas moins difficile qu'un Jésus, un Abraham, ou un mystique musulman. Il est sans pareil, unique, aussi incompréhensible et perceptible que le soleil. Il suffit de se laisser éclairer par lui. À travers n'importe quelle nuit, y compris la mienne, il perce. Même si l'on ne le comprend pas toujours, on est toujours compris par lui, baigné de sa lumière et conduit par son rire. [66] La Ville parjure ou le réveil des Erinyes La Ville parjure ou Le réveil des Erinyes par le Théâtre du Soleil, écrite par Hélène Cixous et représentée en 1994 à la Cartoucherie de Vincennes, se rattache directement à la dernière partie du cycle des Atrides, les Euménides, dont Cixous avait signé la traduction en collaboration avec l'helléniste Pierre Judet de la Combe. La Ville Parjure pose le problème de la responsabilité des politiciens et celui de l'indifférence des intellectuels et de leur silence complice lors du scandale du sang, cette “nouvelle forme de génocide” [67]. Le scandale du sang né en premier lieu de la cupidité des médecins propriétaires ou gestionnaires de laboratoires que les forts intérêts économiques en jeu ont poussés à agir contre leur serment d'Hippocrate, n'est qu'un symptôme de la momification de la société moderne, qui dans ses refus se montre elle-même inhumaine et sans pitié. Le cimetière, lieu des événements et du tribunal, où les puissants seront pour la première fois questionnés par ceux-là mêmes qu'ils ont mis hors la loi, est le dernier refuge de la liberté sous la protection de la nuit. L'appel à l'éthique individuelle et collective ne se termine ni en une morale instructive sur l'instabilité du monde, ni par une aporie - comme par exemple, pour Oedipe roi de Sophocle ou pour Les Choéphores d'Eschyle - ni par une sentence de culpabilité - telle qu'elle est prononcée par le chœur des vieillards se lamentant sur Clytemnestre à la fin d'Agamemnon -, selon les règles de la tragédie grecque. L'épilogue montre les morts et leurs Erinyes heureux dans l'Elysée, qui, de loin, rappelle la rose du ciel dans le Paradis de Dante. Les bienheureux regardent, sans colère, vers la terre ; l'harmonie cosmique les rend conciliants. “Le théâtre a besoin de sa dose homéopathique de fiction pour que la réalité passe, pour que l'on soit proche de la vérité humaine et des passions de l'âme” [68] explique Ariane Mnouchkine pour justifier cette fin étonnante. Lorsque l'on lui demande à quoi elle attribue le succès mitigé de ce spectacle, elle reconnaît un manque de clarté envers le public : “Peut-être que la presse et nous-même n'avons pas su expliquer que ce n'était pas un spectacle télévisuel documentaire, mais une tragédie sur l'érosion de la conscience et de la responsabilité à notre époque, avec de vrais personnages” [69]. Le spectacle porte sur cette réalité politique et sociale d'aujourd'hui, avec ses scandales rapportés quotidiennement par les médias, qui effraient, insécurisent et démotivent. Que l'agréable fin, fictive et métaphorique, que constitue l'heureuse présence de la vie après la mort soit comprise comme une exhortation, une aide apportée à ce monde caduc, n'est pas certain. Le spectateur, même s'il fait partie de la garde rapprochée du Théâtre du Soleil, peut être parvenu lui aussi à une désillusion par rapport à la réalité sociale qui le rend insensible à ces encouragements : il est lui-même objet de cette momification, que la reine, suppliant le roi, décrit comme le symptôme de la maladie de la société : Je voulais parler de cette maladie qui sévit Dans le palais, à la cour, dans les Grands conseils Cette atrophie des nerfs qui conduisent au cœur. Ils ne sentent plus rien ces personnages, Ils n'ont plus d'images dans l'imagination. La Pitié a beau tenter de leur lancer aux yeux Les actes les plus terribles qui se commettent En ce moment même sous nos riches fenêtres, Ils n'ont pas une larme, Ils sont vidés de leurs organes ? Il y a une cavité déserte au milieu de leur poitrine ? L'odeur fauve de la haine qui souffle de la ville Et monte contre leur face devrait les alerter, Sinon les émouvoir. Mais plus de flair, Ni oreille, ni oeil, ni nez Ils ont oubliés qu'ils sont des mortels, Eligibles, écrasables, chassables ? Détestables. Que faut-il faire pour les réveiller ? [70] A partir de textes dramatiques existants, le Théâtre du Soleil créait à travers le cycle des Shakespeare et la trilogie des Atrides, son propre système de références qui donnait une cohérence formelle aux spectacles. L'écriture théâtrale se trouvait ainsi poussée vers de nouvelles dimensions symboliques et métaphoriques de la réalité en retrouvant pour le présent cette aura mythique et sacrée qu'elle avait perdue lors du long processus de civilisation. LaVille Parjure semble inverser ce processus d'un retour enrichissant vers le passé puisque la piècese réfère d'abord à la réalité politique et sociale d'aujourd'hui etsemble ignorer en quelque sorte qu'elle n'est pas une “ tranche de vie ” mais qu'elle est elle-même fiction. Les responsables politiques, placés sur le banc des accusés à la suite du procès contre le docteur Garretta, sont représentés par les tipi fissi modernes X1 et X2. Le flou du discours parfois lyriquement emphatique de ces personnages, qui contraste avec leur réduction schématisée à la manière d'une sculpture, n'est pas seulement une caractéristique stylistique de la prose dramatique de Cixous, il provient du rapport immédiat de la pièce avec le présent : le spectateur, familiarisé avec l'actualité, comprend ce dont il est question et complète le sens à partir du cas concret, alors que celui-ci n'est expliqué que par allusions et en creux. Dans les deux fresques politico-historiques, Sihanouk et L'Indiade, Cixous pouvait fixer la chronologie des événements, mettre au point la configuration de ses figures de scène par rapport aux protagonistes historiques. Ce tableau synoptique ne s'applique aucunement à La Ville parjure. Ici, Cixous manie librement les époques, les personnages et les dimensions de sens. Il en résulte un patchwork de l'histoire mais aussi des formes théâtrales, qui lie les Grecs au théâtre élisabéthain et inclut quelques allusions à l'actualité - un plaisir certain pour le lecteur, mais qui risque de lasser le spectateur, lequel souhaite comprendre au moment du jeu, et non après coup. Dans les Euménides, Cixous présente les Erinyes comme le sacrifice de la justice à la paix citadine, un tribut qui signifie trahison : “[la justice] est une infamie légale au service d'une cause supérieure, la paix” [71], dit-elle dans sa préface, et elle reconnaît dans le fait de démettre de leur pouvoir ces vieilles protectrices de la loi, le matricide encore et toujours répété : “Ce sont ces vieilles gémissantes, tenaces, qui me martyrisent. Comme si dans chaque crime c'était la vieille femme que je tuais. Le crime c'est ça : c'est ma mère que je tue - la vie, ma mère” [72]. Ces Erinyes constitueraient, mais comme une ébauche, l'équivalent au complexe d'Œdipe freudien, auquel Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet se sont opposés dans leur livre Œdipe et ses mythes [73]. Dans la Ville parjure, ces déesses, représentantes apaisées du non-dit, reviennent sur terre après un sommeil de plusieurs milliers d'années, pour venger l'injustice faite aux démunis et aux faibles. Cependant, la mère, leur alliée de cœur, les retient : La mère : Tout ce que je demande c'est : un mot. Ce mot-là je le veux absolument. Un seul mot, mais le mot tout-puissant, Celui qui a le pouvoir d'interrompre l'assassinat. Les Erinyes : Et comment donc s'appelle ce mot extraordinaire ? La mère : “ Pardon ” Tel est le mot que je veux entendre Venu de ces lèvres-ci et de ces lèvres-là. Les Erinyes : Un mot ??! Et tu le demandes à cet assassin ? Mais quelle est la force d'un mot Comparée à l'expiation sanglante ? Pardon ! Pardon ! Mais n'importe qui Peut les prononcer, ces deux syllabes : Paar-Dong ! C'est facile ! Non, aucun mot jamais Ne remplacera un sacrifice de bœufs ou de porcs. [...] Oui, seul le châtiment gouverne les humains Pour leur bien, lui seul est guérisseur. [...] La mère : Alors, dès que le mot est dit, C'est la fin du malheur. Les grandes portes du ciel où demeure la Grâce Qui efface les crimes et les ressentiments S'ouvrent aussitôt, et tous ceux Qui, en ce moment même, sont armés jusqu'aux dents Dans les deux camps, d'un commun accord Sortent de l'Enfer Où nous bouillons depuis tant d'années. [74] La mère s'oppose, dans un langage religieux, à la soif de sang de ses sœurs antiques. Au nom du pardon, le tribunal ne siégera pas, comme l'espéraient les SDF dans le reflet utopique d'une société potentiellement juste et libre. Le règlement de compte avec les malfaiteurs, pour lequel les Erinyes furent ramenées sur terre, n'aura pas lieu. La catégorie chrétienne du pardon est incompatible avec la forme de la tragédie antique qui, justement, laisse l'homme impardonné devant les dieux et le livre seul face à son destin. L'intrusion du pardon amène la notion de repentir, donc de la réversibilité de la faute, tandis que la tragédie grecque est construite sur l'idée de l'irréversibilité de l'erreur initiale et, par là, fatale. Le pardon détruit le champ de force dramatique et ne livre cette explosion des pulsions ni à la conscience ni même à la réflexion, mais au ridicule. La passion dramatique, qui fut choisie comme point de départ, à savoir la mère qui déplore le sacrifice de ses deux fils innocents, se heurte au dérisoire de cette fracture du discours dramatique, dont résultent essentiellement le désarroi et la résistance du spectateur. Alors que les sans-logis, derrière la barrière de fer, prêtent l'oreille à l'accusation et à la défense et continuent à se placer du côté de la justice, se produit un grand moment de théâtre. Les souvenirs des associations du Théâtre du Soleil à des débats pour la liberté et la justice dans la société renaissent dans l'esprit du spectateur et à cet instant, le public “accroche” au spectacle. La volonté d'un changement, sur lequel les Erinyes et les Clochards, la mère, Eschyle le gardien du cimetière et la Nuit, protectrice de leurs plans, sont tombés d'accord, n'aboutit à rien, leur projet part en fumée comme un effet dramatique inachevé, lorsque Forzza remplace le roi mourant et son épouse inutilement perspicace et, prenant le pouvoir, se dote des moyens “d'épurer” le cimetière. Ni la thématique ni la forme de ce Lehrstück qui se veut une fable - au sens brechtien - sur le monde contemporain ne provoquent la réticence du public, mais la transposition dramatique de la réalité sociale opérée par Hélène Cixous trouble la perception du spectateur. L'auteur n'est venue que tardivement, à travers sa rencontre avec Ariane Mnouchkine, à écrire pour une troupe, avec la représentation comme but direct, même si son très remarqué Portrait de Dora (1976) avait déjà été joué. Dans une interview détaillée avec Françoise van Rossum-Guyon [75], elle décrit les stades de son écriture. Le choc émotionnel déclencheur de l'écriture - “je ne peux écrire qu'à partir d'une émotion, il faut que je reçoive un ‘coup'” [76]-, c'est pour La Ville parjure, la mort d'enfants innocents, dont se sont accommodés des médecins cyniques et profiteurs. La mère incarne dans la pièce le personnage subissant ce bouleversement affectif qui prend la place de fatalité antique. Cependant, ce choc se limite à l'expérience propre de l'auteur, et ne mène qu'à la création de personnages, avec lesquels Cixous peut s'identifier : “J'ai un problème avec les personnages. Je n'ai jamais écrit de roman, je n'ai jamais pu me voir inventer des personnages romanesques et surtout des hommes, parce que je ne peux écrire qu'avec le corps, à partir de ce que je sens. Le corps est ma source” [77]. De l'expérience limitée et limitante naissent de très beaux personnages ambivalents, mutants des deux sexes : Eschyle par exemple, le protecteur maternel, ou encore l'oiseau sombre de la Nuit qui gouverne le temps ici-bas et l'espace dans l'au-delà. Cependant, les critères d'expérience et d'émotion demeurent alors insuffisants, lorsque les tipi fissi des institutions d'État ou des groupes de pression doivent être visualisés. La densité physique du jeu est apportée par l'acteur ; son expérience affective charge le personnage. L'émotivité domine, c'est elle qui guide le regard sur la réalité sociale parce qu'elle est pour Cixous garante de la liberté individuelle : “Je n'ai pas le goût politique. Le politique est inscrit dans mon tissu mais comme la damnation sociale. Depuis toujours je suis prise dans le filet politique. Je suis otage, comme nous tous, des scènes politiques, de l'Histoire, mais je n'écris pas de cela, j'écris plutôt de ce qui reste librement humain à travers la captation ou la capture du politique” [78]. Conformément au souhait d'Ariane Mnouchkine, Cixous a tenté d'écrire une pièce didactique dans le style de la Comédie de notre temps, L'Âge d'or : “Nous désirons un théâtre en prise directe sur la réalité sociale, qui ne soit pas un simple constat, mais un encouragement à changer les conditions dans lesquelles nous vivons” [79]. Une pièce dont les personnages actifs sont pourtant atteints de cécité - comme l'était Abdallah, le nouvel Arlequin - de sorte qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ni dans quel but ils agissent : D'abord le théâtre c'est la scène de notre aveuglement. Au théâtre je vois des aveugles, au théâtre, tel que je l'écris dans des pièces historiques, les personnages sont aveugles, ils ne savent pas ce qu'ils sont en train de faire, où ils vont, c'est en quoi nous en sommes contemporains. En tant que contemporains de nous-mêmes nous sommes des aveugles, nous ne savons jamais ce que nous faisons ni où nous mènent nos pas. [80] Le scepticisme perspicace de Cixous, sa psychologie la préservent des excès du réalisme socialiste et des héros positifs. Elle écrit des pièces dans la pièce ou des ‘non-pièces' : L'histoire (qu'on ne connaîtra jamais) par exemple, dans laquelle il s'agit de savoir comment ça aurait pu être, si..., ou bien comment ça serait presque devenu.... Avec La Ville parjure, elle a écrit une pièce sur le “presque” combat contre la Mafia, la “presque” libération du cynisme et la “presque” justice pour les SDF. Le théâtre de Mnouchkine fut toujours un théâtre porteur de messages et son jeu nécessite ces appels. Dans la perspective de Cixous ces messages se font surtout à la veille d'une décision : “Le théâtre que j'aime c'est ce que j'appellerai le théâtre de la veille, dans Shakespeare la veille d'une bataille, ou la veille d'une décision” [81]. Et soudain, des nuits d'éveil Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonsoir. Depuis votre dernière venue, il s'est produit chez nous un événement qui a changé nos projets, notre emploi du temps, et finalement notre état d'esprit et toute notre vie. Il nous est depuis apparu que ce coup de théâtre survenu dans notre théâtre vous était destiné. [82] Sur ces paroles de Jacques, qui assumera le rôle du meneur, s'ouvre le spectacle du Théâtre du Soleil, Et soudain, des nuits d'éveil. Il a quelque peu dérouté les critiques qui y ont vu avant tout des allusions transparentes aux événements vécus au jour le jour à la Cartoucherie pendant l'été 1995, lorsque les gens de théâtre rassemblés autour d'Ariane Mnouchkine se sont engagés pour les sans papiers réfugiés dans l'église Saint Bernard. Cette irruption de la réalité dans le monde clos de la fiction théâtrale n'est pas nouvelle au Théâtre du Soleil. Le jeu sur scène se nourrit du monde extérieur et il se prolonge en actions pour le bien commun de la société, en cela, Et soudain, des nuits d'éveil ne diffère ni du triptyque de la création collective des années 70 ni de la Ville parjure. Le prétexte à l'intrigue est simple : une représentation de la Tibetan Opera Company est brusquement interrompue par l'arrivée de la délégation tibétaine en mission officielle à Paris, que le gouvernement français a refusé de recevoir et qui décide de rejoindre le théâtre afin d'exercer une pression politique à partir de cette “ maison du présent ”. La création à partir d'improvisations et l'auto-représentation de la troupe sont des éléments caractéristiques de ce spectacle. Le film Molière (1976-1977) avait renvoyé l'image d'une compagnie idéalisée, comme le formulait encore Jean-Claude Penchenat dans sa rétrospective en 1994 : Cette histoire à laquelle nous avions besoin de croire, Ariane a su lui donner un nom, et nous avons vécu et ils vivent encore cette utopie à laquelle nous étions seuls à croire. (...) l'enseignement du Théâtre du Soleil et d'Ariane reste essentiel en nous. Il a fait de nous une famille d'acteurs à part. [83] Au sein de cette communauté de théâtre naissait la comédie classique et son plus grand auteur, Molière. Par ce film, le Théâtre du Soleil avait fait sienne la tradition de Molière et l'aspiration à la renaissance moderne du théâtre, par la Comédie de notre temps de Jacques Copeau. À l'opposé, Et soudain, des nuits d'éveil privilégie, à la suite du film Au Soleil même la nuit qui accompagnait les répétitions du Tartuffe, le registre de l'autoparodie : la compagnie qui reçoit le groupe des hôtes lointains est dépassée par ce prolongement de la vie dans le théâtre, et le rapport étroit avec le public qui, dans un élan de solidarité, ne quitte plus la salle, la met mal à l'aise, comme l'exprime Madame Gabrielle, la gardienne du théâtre : S'il vous plaît, Monsieur, vous avez un garage ? Vous avez une villa ? Vous avez un jardin ? Vous avez des tentes de camping ? Alors vous prenez la délégation. Ici c'est un théâtre, Monsieur. Ce n'est pas l'armée du Salut. Ici, on a des représentations tous les soirs, Monsieur. On a des gens qui viennent, qui payent pour voir des spectacles, pas des Tibétains couchés ou qui font de la cuisine, Monsieur. Il ne faut pas proposer des choses comme ça quand on ne sait pas à quoi on s'engage Monsieur. C'est qui lui ? Un journaliste ? Un provocateur ? Il ne faut pas leur laisser la parole. [84] Madame Gabrielle rappelle dans son gestus Eschyle, le gardien du cimetière dans la Ville parjure, mais elle représente aussi celle qui est toujours présente au théâtre, qui y dort et qui y veille, la patronne en personne. La méthode d'élaboration du spectacle à partir d'improvisations n'est pas nouvelle. La compagnie renoue avec la technique qu'elle s'est appropriée dès ses débuts dans la tradition de la commedia dell'arte. Mais l'émergence de types au sein de la communauté de théâtre qui laisse libre cours à l'autoparodie est peut-être liée à la correlation établie entre improvisation et écriture. À partir des improvisations enregistrées sur bande vidéo, le spectacle est réécrit par Hélène Cixous, “harmonisé” dans une écriture limpide, proche de l'expression orale. L'écriture passe allègrement les notions sacro-saintes du théâtre différent et militant au tamis fin de son ironie. À titre d'exemples : l'ouverture de la communauté théâtrale sur le monde, la complicité entre salle et scène, le public bien-pensant qui lui aussi, est impitoyablement décomposé en des types tels qu'un prêtre en difficulté avec ses supérieurs hiérarchiques, un spectateur belge, homme d'affaires qui renonce à retourner à Bruxelles, ou la spécialiste tibétologue qui croit au karma du peuple tibétain. Le personnage du Lama renvoie au Mahatma Gandhi et aux faiblesses que la troupe a pu éprouver lors de la création de l'Indiade. De prime abord, l'auteur a ici la tâche bien circonscrite de renforcer la structure textuelle de la trame, comme Ariane Mnouchkine l'avait formulé depuis l'expérience de Sihanouk : Ce qui est beau chez Molière, c'est l'équilibre auteur-acteur. Molière est quelqu'un qui, à un moment donné, s'est mis à écrire des textes pour les acteurs, en poète et en connaissant le théâtre, la dynamique du théâtre et les besoins d'un acteur. (...) Pour nous, ce qui est important, c'est d'être prêts à accueillir le poète du théâtre. Soyons un bon outil pour ce poète-là. Et pour sa part le poète doit laisser se développer chez les acteurs l'imagination. Il s'agit de part et d'autre de se donner mutuellement la liberté et les moyens d'aller plus loin. Si les choses qui sont du domaine du corps de l'acteur sont trop ‘préécrites', si l'auteur occupe d'avance la place de l'acteur, alors ces ‘choses' ne peuvent plus être ‘écrites', par l'acteur, ni jouées ni improvisées : bref ça ne peut plus ‘bouger'... [85]. À y regarder de plus près, l'écriture échappe à la stricte surveillance de la transcription harmonisée, elle crée des écarts en se laissant emporter par la situation. Hélène Cixous révèle ici, plus que dans ses pièces antérieures, une profonde connivence avec le processus de création propre à Ariane Mnouchkine. Mnouchkine part du personnage (dans l'improvisation) et du lieu pour créer la trame d'un spectacle. Cixous dote ce personnage de la parole en lui conférant un ton, souvent emprunté à un des auteurs avec lequel elle se sent en harmonie, Shakespeare par exemple. Elle obtient ainsi des effets déroutants par la transplantation de ce style dans un milieu inhabituel, c'est un jeu de superposition et de distanciation dans la langue : Or, l'une des caractéristiques du moteur du texte cixousien tient à ce que l'écriture fonctionne comme une merveilleuse boîte de changement de vitesses : elle recourt à un ensemble de dispositifs touchant à la grammaire, à la syntaxe, au lexique, par quoi s'opèrent accélérations et ralentissements, griserie, cahotements, coups de frein sur un mot qui déboule, une phrase qui dévie et transporte, le départ inattendu d'un raccourci. Comme si l'écriture (et la lecture à sa suite), de commencer en non-connaissance des causes et des choses, c'est-à-dire en connaissance de cette non-connaissance, se trouvait plus sensible au mouvement qui l'emporte. Comme si, contrainte, d'entrée, de se laisser aller, c'était à la vitesse qu'elle s'en remettait pour la traversée des significations. [86] La mise en abyme s'arrête au moment où la dimension essentielle est atteinte. La comédie improvisée ne se termine pas par un dénouement heureux. Certes, les Tibétains ne se sont pas immolés comme ils en avaient l'intention, et pour un instant, le temps d'une longue citation du Dalaï Lama, l'utopie d'un “Tibet libre, lieu d'une culture unique des sciences de l'âme” est rendue présente sur scène. Celle-ci reste cependant éphémère, le gouvernement français n'a pas voulu annuler ses ventes d'armes à la Chine et le spectacle se termine sur la voix off du théâtre documentaire : Les avions étaient donc partis pour la Chine. Aussitôt la police prit le théâtre d'assaut. Les tibétains furent embarqués et expulsés. Mais au moins, nous disions-nous, l'immolation n'avait pas eu lieu. Ce n'est que deux jours plus tard que nous apprîmes qu'une femme et un homme s'étaient immolés sur la place principale de Lhassa. [87] L'engagement que préconise l'écriture d'Hélène Cixous tout autant que le théâtre d'Ariane Mnouchkine est au fond un engagement d'inspiration existentialiste : face à la mort, l'être humain redécouvre les choix essentiels de sa vie : “Ta tombe inspire la vie. Cependant que le vivant vient assurer le mort qu'il n'est pas mort. Qui va vers l'homme, passe nécessairement par la Bête, la tombe et les étoiles” [88]. En ce sens, Et soudain, des nuits d'éveil constitue une nouvelle étape dans la recherche du genre dramatique futur. Grâce au mode du récit ">De l’improvisation au rite : l’épopée de notre temps. Le Théâtre du Soleil au carrefour des genres, Peter Lang, Frankfurt am Main, 2002

  1. [1] Fiche programme de Et soudain, des nuits d'éveil
  2. [2] Ibid.
  3. [3] Théâtre du Soleil, 1793 : la cité révolutionnaire est de ce monde, Stock (Théâtre Ouvert), Paris, 1972 ; KOURILSKY Françoise, “De 1789 à 1793, entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Différent. Le Théâtre du Soleil, numéro spécial de la revue Travail Théâtral, février 1976, p. 48-52 (ici : p. 49)
  4. [4] MAHDI Slaheddine, Le Théâtre populaire, analyse d'un spectacle : L'Âge d'or, Maîtrise (Lettres Modernes) dirigée par Bruno Vercier, Université Paris III, 1976 (dact.)
  5. [5] SALLENAVE Danièle, BANU Georges (dir.), Antoine Vitez, Le Théâtre des idées, Gallimard, Paris, 1991, p. 202
  6. [6] Fiche programme de Et soudain, des nuits d'éveil
  7. [7] FORT Bernadette, “Theater, History, Ethics : An interview with Hélène Cixous on The Perjured City, or Awakening of the Furies”, in New Literary history 28-3, 1997, pp. 425-456 (ici : p. 428)
  8. [8] L'expression est d'Antoine Vitez
  9. [9] PAVIS Patrice, “Vers une théorie du jeu de l'acteur”, in Degrés, n° 75-76, automne-hiver 1993, pp. 1 17 (ici : p. 3)
  10. [10] SIMON Alfred, “Les Dieux qu'il nous faut. Entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Acteurs, n°2, février 1982, pp. 20-24 (ici : p. 20)
  11. [11] Théâtre du Soleil, “Inventer collectivement son texte”, in Les Nouvelles Littéraires, n° 2420, 11 février 1974
  12. [12] SIMON Alfred, op. cit., p. 21
  13. [13] “Entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Théâtre public, op.cit., p.10
  14. [14] CIXOUS Hélène, “Écrits sur le Théâtre”, in L'Indiade ou l'Inde de leurs rêves, Théâtre du Soleil, Paris/Tours, 1987, pp. 247-278 (ici : p. 248)
  15. [15] Ibid., p. 263
  16. [16] Ibid., p. 251
  17. [17] PERRET Jean, “Entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Le Théâtre du geste. Mimes et acteurs, Bordas, Paris, 1987, pp. 121-126 (ici : p. 126)
  18. [18] CIXOUS Hélène, “Ecrits sur le théâtre”, op. cit., p. 248
  19. [19] Ibid., p. 256
  20. [20] Fiche programme de L'Indiade
  21. [21] CIXOUS Hélène, “Ecrits sur le théâtre”, op. cit., p. 274
  22. [22] MNOUCHKINE Ariane, “Le sang contaminé est le crime de notre époque”, entretien paru dans Infomatin, 30 mai 1994
  23. [23] Ibid.
  24. [24] SALINO Bruno, “Soleil voilé pour Ariane Mnouchkine”, Le Monde, 21 octobre 1994
  25. [25] CIXOUS Hélène, La Ville parjure ou Le Réveil des Erinyes, Théâtre du Soleil, Paris/ Tours, 1994, p. 79
  26. [26] CIXOUS Hélène, “Le coup”, in Les Euménides d'Eschyle (trad. Hélène Cixous), Théâtre du Soleil, Paris/Tours, 1992, p. 8
  27. [27] Ibid., p.12.
  28. [28] VERNANT Jean-Pierre, VIDAL-NAQUET Pierre, Oedipe et ses mythes, Paris, (1988) 1994 (Voir notamment le premier texte de Vernant : 'Oedipe' sans complexe, pp. 1-22)
  29. [29] CIXOUS Hélène, La Ville parjure, op.cit., p. 120
  30. [30] VAN ROSSUM-GUYON Françoise, “A propos de 'Manne'. Entretien avec Hélène Cixous”, in Id./Manuela Díaz-Diocaretz, Hélène Cixous, chemins d'une écriture, Paris, 1990, pp.213-234.
  31. [31] Ibid., p. 214
  32. [32] Ibid., p. 229
  33. [33] Ibid. p. 216
  34. [34] L'Âge d'or, Texte programme, Théâtre Ouvert Stock, Paris, 1975, p. 14
  35. [35] VAN ROSSUM-GUYON, DIAZ-DIOCARETZ, op.cit., p. 231
  36. [36] Ibid.
  37. [37] Théâtre du Soleil/Hélène Cixous, Et soudain, des nuits d'éveil (Manuscrit, p.1)
  38. [38] PENCHENAT Jean-Claude, “L'aventure”, Le Monde (arts et spectacles), 26 mai 1994, dossier spécial : “Le Théâtre du Soleil a 30 ans”
  39. [39] Le Théâtre du Soleil/Hélène Cixous, Et soudain, des nuits d'éveil, op. cit., p. 9
  40. [40] PERRET Jean, op. cit. (ici : p. 123)
  41. [41] CALLE -GRUBER Mireille, “ La vision prise de vitesse par l'écriture. À propos de La Fiancée juive d'Hélène Cixous ”, in Littérature, 103, 1996, pp. 79-93 (ici : p. 79)
  42. [42] Le Théâtre du Soleil/Hélène Cixous, Et soudain, des nuit d'éveil, op.cit., p.41.
  43. [43] CIXOUS Hélène, “Écrits sur le théâtre”, op. cit., p. 252
  44. [44] Ibid., p. 255
  45. [45] BAUCHAU Henry, “Sophocle sur la route”, in Exercice du matin, Actes Sud, Arles, 1999, p. 9
  46. [46] Fiche programme de Et soudain, des nuits d'éveil
  47. [47] Ibid.
  48. [48] Théâtre du Soleil, 1793 : la cité révolutionnaire est de ce monde, Stock (Théâtre Ouvert), Paris, 1972 ; KOURILSKY Françoise, “De 1789 à 1793, entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Différent. Le Théâtre du Soleil, numéro spécial de la revue Travail Théâtral, février 1976, p. 48-52 (ici : p. 49)
  49. [49] MAHDI Slaheddine, Le Théâtre populaire, analyse d'un spectacle : L'Âge d'or, Maîtrise (Lettres Modernes) dirigée par Bruno Vercier, Université Paris III, 1976 (dact.)
  50. [50] SALLENAVE Danièle, BANU Georges (dir.), Antoine Vitez, Le Théâtre des idées, Gallimard, Paris, 1991, p. 202
  51. [51] Fiche programme de Et soudain, des nuits d'éveil
  52. [52] FORT Bernadette, “Theater, History, Ethics : An interview with Hélène Cixous on The Perjured City, or Awakening of the Furies”, in New Literary history 28-3, 1997, pp. 425-456 (ici : p. 428)
  53. [53] L'expression est d'Antoine Vitez
  54. [54] PAVIS Patrice, “Vers une théorie du jeu de l'acteur”, in Degrés, n° 75-76, automne-hiver 1993, pp. 1 17 (ici : p. 3)
  55. [55] SIMON Alfred, “Les Dieux qu'il nous faut. Entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Acteurs, n°2, février 1982, pp. 20-24 (ici : p. 20)
  56. [56] Théâtre du Soleil, “Inventer collectivement son texte”, in Les Nouvelles Littéraires, n° 2420, 11 février 1974
  57. [57] SIMON Alfred, op. cit., p. 21
  58. [58] “Entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Théâtre public, op.cit., p.10
  59. [59] CIXOUS Hélène, “Écrits sur le Théâtre”, in L'Indiade ou l'Inde de leurs rêves, Théâtre du Soleil, Paris/Tours, 1987, pp. 247-278 (ici : p. 248)
  60. [60] Ibid., p. 263
  61. [61] Ibid., p. 251
  62. [62] PERRET Jean, “Entretien avec Ariane Mnouchkine”, in Le Théâtre du geste. Mimes et acteurs, Bordas, Paris, 1987, pp. 121-126 (ici : p. 126)
  63. [63] CIXOUS Hélène, “Ecrits sur le théâtre”, op. cit., p. 248
  64. [64] Ibid., p. 256
  65. [65] Fiche programme de L'Indiade
  66. [66] CIXOUS Hélène, “Ecrits sur le théâtre”, op. cit., p. 274
  67. [67] MNOUCHKINE Ariane, “Le sang contaminé est le crime de notre époque”, entretien paru dans Infomatin, 30 mai 1994
  68. [68] Ibid.
  69. [69] SALINO Bruno, “Soleil voilé pour Ariane Mnouchkine”, Le Monde, 21 octobre 1994
  70. [70] CIXOUS Hélène, La Ville parjure ou Le Réveil des Erinyes, Théâtre du Soleil, Paris/ Tours, 1994, p. 79
  71. [71] CIXOUS Hélène, “Le coup”, in Les Euménides d'Eschyle (trad. Hélène Cixous), Théâtre du Soleil, Paris/Tours, 1992, p. 8
  72. [72] Ibid., p.12.
  73. [73] VERNANT Jean-Pierre, VIDAL-NAQUET Pierre, Oedipe et ses mythes, Paris, (1988) 1994 (Voir notamment le premier texte de Vernant : 'Oedipe' sans complexe, pp. 1-22)
  74. [74] CIXOUS Hélène, La Ville parjure, op.cit., p. 120
  75. [75] VAN ROSSUM-GUYON Françoise, “A propos de 'Manne'. Entretien avec Hélène Cixous”, in Id./Manuela Díaz-Diocaretz, Hélène Cixous, chemins d'une écriture, Paris, 1990, pp.213-234.
  76. [76] Ibid., p. 214
  77. [77] Ibid., p. 229
  78. [78] Ibid. p. 216
  79. [79] L'Âge d'or, Texte programme, Théâtre Ouvert Stock, Paris, 1975, p. 14
  80. [80] VAN ROSSUM-GUYON, DIAZ-DIOCARETZ, op.cit., p. 231
  81. [81] Ibid.
  82. [82] Théâtre du Soleil/Hélène Cixous, Et soudain, des nuits d'éveil (Manuscrit, p.1)
  83. [83] PENCHENAT Jean-Claude, “L'aventure”, Le Monde (arts et spectacles), 26 mai 1994, dossier spécial : “Le Théâtre du Soleil a 30 ans”
  84. [84] Le Théâtre du Soleil/Hélène Cixous, Et soudain, des nuits d'éveil, op. cit., p. 9
  85. [85] PERRET Jean, op. cit. (ici : p. 123)
  86. [86] CALLE -GRUBER Mireille, “ La vision prise de vitesse par l'écriture. À propos de La Fiancée juive d'Hélène Cixous ”, in Littérature, 103, 1996, pp. 79-93 (ici : p. 79)
  87. [87] Le Théâtre du Soleil/Hélène Cixous, Et soudain, des nuit d'éveil, op.cit., p.41.
  88. [88] CIXOUS Hélène, “Écrits sur le théâtre”, op. cit., p. 252