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Discours de réception du Kyoto Prize
Ariane Mnouchkine, novembre 2019

L’île d’or, titre provisoire

En juin 2019, Ariane Mnouchkine est honorée du Kyoto Prize. C’est depuis Hokkaido au Japon qu’elle écrit son discours de réception. Comme deux ans auparavant, à l’occasion du Goethe Preis, dont le discours de réception sera rédigé depuis l’île de Sado, ces mots viennent apporter un témoignage sur les inspirations et les préparations intérieures du metteur en scène à sa prochaine création.

 

© Inamori Foundation

 

Otaru, Morinoki Hostel, 4 septembre 2019

40 minutes ! Mon discours doit durer 40 minutes ! Une éternité ! Pour le public, pour vous qui êtes censés, à la fois, percevoir par les changements de mes intonations la sincérité de mes propos et en comprendre le sens en écoutant l’interprète émérite chargée de vous les traduire. 40 minutes ! Mais cela fait au moins dix pages ! Et encore... si j’examine les discours de certains de mes prédécesseurs, cela peut aller jusqu’à 15 pages ! Même agrémentées de très mystérieux graphiques ou de photos d’enfance, 40 minutes, vue la simplicité de ce que, moi, j’ai à vous raconter, c’est très long. Comment les vivre et les faire vivre, ces minutes interminables ? Ces minutes qui seront irrespectueuses, martyrisantes, si, pendant qu’elles s’égrènent, je vous ennuie. Ce qui est, pour moi et pour toute femme ou homme de théâtre, un péché mortel. Ennuyer... Quelle horreur ! Vous faire souffrir ainsi, alors que vous êtes tous venus, si aimablement, pour honorer le choix de la Fondation Inamori, c’est-à-dire nous, les trois lauréats de cette année, Doctor Ching W. Tang, Doctor James Gunn et moi, Ariane.

À Paris, le 31 juillet 2019, j’avais choisi déjà en épigraphe :
We are such stuff as dreams are made on...
De quelle étoffe est donc faite la lauréate d’un aussi majestueux prix que le Prix Kyoto ? Qui m’a tissée ? De quels rêves de quels innombrables rêveurs suis-je issue ? Qui m’a engendrée ? Qui sont ceux qui, bien avant et bien plus que moi, eussent mérité ce prix ? Ces innombrables lauréats possibles, glorieux ou anonymes, comment les évoquer ? Comment leur rendre justice ?
De quel lait, de quel pain ai-je été nourrie ? Qui a pétri ce pain ? Sur quelle terre a poussé ce blé ? Qui l’a moissonné ? Sous quels soleils ? La France, bien-sûr, mon pays bien-aimé, m’a protégée, la plupart du temps, soignée et éduquée, mais avec elle, quels sont les pays qui m’ont cultivée, inspirée ?
À qui dois-je d’être moi ?
Sur quelles innombrables traces dois-je partir pour exprimer ma gratitude, ma frustration, mon effroi parfois ? Toutes ces pistes qui mènent à mon petit moi imparfait mais qui, comme pour tout être humain, dessinent un réseau planétaire, ce sont elles que je vais devoir retrouver pour écrire ce discours. Ce discours qui m’intimide tant, mais dont l’effrayante obligation a la vertu de me pousser à cette enquête et à cette reconnaissance.
En me l’attribuant, à combien de centaines, peut-être de milliers de femmes et d’hommes avez-vous, en vérité, donné ce prix bienveillant et somptueux ? Aujourd’hui, ces privilèges, ce luxe, ce raffinement, cet entourage affectueux, à qui les dois-je ? Aux sueurs, héroïsmes, dévouements, constances, génies et illuminations de qui, et de combien ?
Combien de combats et de morts a-t-il fallu pour que, moi, femme, épouse d’une femme, je vive libre, dans un pays, presque, en paix, que j’y fasse librement du théâtre et reçoive un tel honneur ?
(Abstract of the Kyoto Prize Commemorative Lecture)

Et Monsieur Inamori qui, versant sur mon théâtre une pluie d’or salvatrice, me somme de faire mieux encore, que veut-il ?
I have decided (...) to create the Kyoto Prize as a means of recognising persons who have made outstanding contributions to the progress of science, the advancement of civilisation and the enrichment and elevation of the human spirit. Those worthy of the Kyoto Prize will be people who have (...) worked humbly and devotedly, sparing no effort to seek perfection in their chosen professions. (...) Their achievement will have contributed substantially to the cultural, scientific and spiritual betterment of mankind. Perhaps, more importantly, they will be people who have sincerely aspired through the fruits of their labors to bring true happiness to humanity...
(The Philosophy of the Kyoto Prize)

Mais se rend-il compte de ce qu’il dit ?!

At the very last, I hope to honor these people and, thereby, to motivate them and others like them to reach still greater heights...!!!
Se rend-il vraiment compte de ce qu’il demande, cet homme admirable ?
Ces souhaits, ce paysage de bonté humaine, venus d’un autre siècle, proférés par un homme qui, du fait de son activité professionnelle, ne peut ignorer la pente férocement cynique que notre monde d’aujourd’hui dévale —c’est le cas de le dire — à tombeaux ouverts, ces vœux sont le signe d’une telle force d’âme, d’une telle enfance préservée, que nous ne pouvons que rester ébahis et bouleversés. Rappelés à l’ordre en quelque sorte. Oui, ce prix est un rappel aux ordres de nos rêves...

Mais enfin, ai-je vraiment fait cela, Monsieur Inamori ? Ai-je vraiment sincerely aspired... to bring true happiness to humanity ?
Je crois que j’ai souvent, très prétentieusement, espéré le faire. Nous, femmes ou hommes de théâtre, nous pensons tous que nous devons bien être utiles à quelque chose. Que les histoires que nous décidons de raconter ou qui, plus exactement, décident d’être racontées par nous, seront utiles. Qu’elles seront éclairantes, nourrissantes. Indispensables.

Nous pensons que la transformation formelle que le théâtre exige pour devenir théâtre entraîne forcément la transformation, l’élévation des âmes que l’humanité demande pour devenir vraiment humaine. Certains accordent ce pouvoir à la prière.

 

© Inamori Foundation

 

Otaru, 5 septembre

Tous les soirs, juste avant d’aller ouvrir la porte de notre théâtre, je rappelle aux jeunes femmes et jeunes gens qui viennent nous aider à servir les repas des spectateurs : “Mesdames et messieurs, attention, attention, notre théâtre va ouvrir !” Et quand je suis très gaie, je dis même : “Attention, attention, notre beau théâtre va ouvrir !” et tout le monde sourit derrière le bar. Quand parfois un évènement extérieur nous a angoissés, et Dieu sait si nous avons eu à Paris, ces dernières années, des évènements angoissants et cruels, j’ajoute : “Je vous rappelle que nous avons charge d’âmes” et me murmure à moi-même : “comme toujours”.

Avoir charge d’âmes et en être conscient. S’engager à avoir charge des âmes les uns des autres. Ne serait-ce pas, après tout, un projet politique et social, suffisant ? N’est-ce pas ce que Liberté, Égalité, Fraternité veut vraiment dire sur les frontons français ? N’est-ce pas ce que Monsieur Inamori imaginait, en créant ce prix si ambitieux ?

Mes amis et moi, nous savons que l’œuvre que nous produirons sera d’autant plus digne, plus artistique, plus belle, que les conditions dans lesquelles elle aura été enfantée — car il s’agit d’un fantastique accouchement — que ces conditions auront été aimantes, ferventes, passionnées, confiantes, et si, embarqués que nous sommes toutes et tous, actrices, acteurs, techniciens, administratrice, co-directeur et moi-même, sur cette barque fragile et périlleusement secouée qu’est un spectacle en devenir, nous aurons pris soin les uns des autres. Si nous nous sommes fait confiance, si nous avons espéré le meilleur de chacun d’entre nous. Bref, si nous nous sommes aimés.

Pour cela, il nous aura fallu, et sans vouloir attrister cette belle assemblée, il faut bien que j’en parle, il nous aura fallu résister au désenchantement du monde d’aujourd’hui. À sa froideur, à son manque absolu de sens et de forme, à son conformisme économique implacable. Ce conformisme économique assassin, imbécile, chanté, argumenté par ceux-là mêmes qui devraient le dénoncer, y résister âprement et nous en protéger. Je nomme là ceux qu’on honorait autrefois du très noble titre de serviteurs de l’État et qui, parfois, ne méritent plus que celui de laquais des gouvernements.

Il me faut revenir à cette étoffe mystérieuse dont vous et moi, nous sommes tous faits, œuvre de tisserands innombrables, célèbres ou ingratement ignorés. Il m’appartient aujourd’hui de tenter d’en reconnaître quelques-uns sans que cela devienne une liste assommante.
Là, évidemment, je le sais, il faudrait que je vous parle de mes parents, de mon enfance...

Je souhaite à toutes les filles d’avoir un père comme était le mien. Bien qu’il fût inquiet pour l’avenir de ses deux filles, bien qu’il me prodiguât toutes sortes d’avertissements sur les difficultés du métier que, très tôt, j’avais décidé de faire, jamais, jamais, il ne m’a donné le sentiment que quelque chose me serait impossible si vraiment j’y mettais le prix. C’est-à-dire la passion, l’effort et la confiance. Comme nous nous sommes querellés, lui et moi. Au moins tant qu’il fut fort et en bonne santé. Jamais après qu’il ait eu son anévrisme. Je faisais attention. Mais la dispute nous manquait. N’être d’accord sur à peu près rien et nous aimer totalement. J’étais de gauche, il était plutôt à droite. Il avait fui l’Union Soviétique. En 1923. Sa famille, juive, avait tenté de vivre sous le joug bolchévique, mais en vain. Il avait réussi à fuir en France, il avait 15 ans, presqu’encore un enfant, avec sa petite sœur. Deux ou trois ans plus tard, ses parents arrivèrent à Paris. C’est une longue et extraordinaire épopée familiale qui ressemble à celle de milliers d’émigrants russes. Mais qui, ensuite, pour Alexandre et Tamara, mes grands-parents, ressemble au massacre de millions de juifs à Auschwitz.

Sans tout à fait comprendre le fonctionnement égalitaire de notre troupe, peut-être même en le désapprouvant, il était, malgré tout, très fier de moi. Moi, je trouvais les films qu’il produisait parfois trop commerciaux. Il me traitait de snob et me rappelait que j’étais bien contente de recevoir l’aide financière qu’il pouvait me donner grâce à ses films trop commerciaux. Il avait raison. J’avais tort. J’espère pouvoir le lui dire, un jour.

Il m’emmenait avec lui, sur les plateaux de cinéma. Cela sentait le caoutchouc chaud des câbles électriques, la poudre et les crèmes des actrices. Il y faisait torride à cause des énormes projecteurs. Tout un monde étincelant, sensuel. Les actrices étaient très belles. Les acteurs très gentils.

Et puis un jour, après le bac : Tu dois parler mieux anglais. Ma mère était anglaise. Mais mon anglais n’était pas digne de l’Angleterre. Hop, on m’envoie avec mon consentement ravi, passer une année universitaire à Oxford. À Saint Clare’s Hall. Au coin de Lathbury et de Banbury Road. J’y apprendrai l’anglais, bien sûr, mais surtout, béni soit le théâtre universitaire britannique, j’y commencerai le théâtre et ma vie allait s’y décider. Ensuite, un voyage au bout du monde allait entériner cette décision.

 

© Inamori © Inamori Foundation

 

Otaru, 6 septembre

Pourquoi ai-je tant de mal à imaginer faire, pour ce discours, ce que certains de mes prédécesseurs ont si bien fait, mon autobiographie ? Pourquoi me paraît-elle si simple, si insuffisante même ? C’est parce que, au fond, je sais que mon Bildungsroman, mon roman personnel d’initiation, n’a été qu’un chemin en quête de compagnons de route, de travail, de vie, d’amitié, d’amour, d’aventures, de rêves et de révolutions positives. Je pressentais, je savais, que je ne ferais rien toute seule. Sauf peut-être voyager un moment, justement pour m’exposer à la froidure et à la peur dans la solitude d’un voyage qui lui aussi fut destinal et initiateur.

Le voyage :
J’ai apporté mon billet. Il s’agit de mon billet Marseille-Yokohama. Sur le cargo mixte Le Cambodge de la Compagnie des Messageries Maritimes. Départ le 30 avril 1963, du quai n°... c’est illisible. Première escale à Port Saïd, l’entrée du Canal de Suez. Oui, on prenait le Canal de Suez. Les trois grands lacs qu’il relie, étaient encore, à l’époque, parsemés des épaves de navires bombardés au cours de l’expédition colonialiste, catastrophique et idiote qu’avaient menée la France et la Grande-Bretagne, avec l’aide d’Israël, pour tenter de récupérer le Canal que Gamal Abdel Nasser avait eu l’audace de nationaliser au nom du peuple égyptien. Je traversais l’Histoire. Escale à Aden, puis Bombay. Le bateau entre dans le port. Une onde d’odeurs de mangue et de merde m’arrive du marché voisin. Le soleil se lève. Les corbeaux semblaient vouloir attaquer le bateau. Pour la première fois je mets le pied sur le sol indien. Je suis dans le mythe et la légende. Lors de cette escale, je ne verrai que la magnificence. La face sombre je la subirai au retour. Le grand amour avec ce pays continent je le vivrai plus tard.
Colombo. Singapour. Saigon, en pleine guerre du Vietnam. Hong-Kong, Kobe. Arrivée à Yokohama, le... Le billet ne promettait rien. Mais le trajet avait duré 30 jours, donc, nous sommes probablement arrivés le 1er juin 1963.

Il pleut. C’est le déluge. Il pleuvra ainsi pendant deux mois. Oooh ! Comme j’ai détesté le Japon pendant ces deux mois ! Je ne parlais évidemment pas japonais. Et les Japonais, en 1963, chez eux, ne parlaient évidemment rien d’autre ! Même les signes, les mimiques qui me paraissaient les plus clairs, provoquaient des yeux ronds et un refus effrayé de tenter même de les comprendre ! Ooooh ! Comme j’ai détesté les Japonais pendant ces deux mois ! Et puis, une fée est apparue. Marcel Giuglaris, un journaliste français, parlant parfaitement le japonais, marié alors à une Japonaise — on disait en ce temps, de ce genre d’amoureux fins connaisseurs du Japon, qu’ils étaient tatamisés — Marcel est enfin revenu de Corée et m’a prise sous son aile, rassurée, orientée et, grâce à lui, j’ai commencé vraiment mon voyage dans ce pays dont la culture théâtrale et cinématographique allait devenir pour moi une initiation et une inspiration permanentes. Un de mes maîtres. Les autres seront l’Inde, Bali, Meyerhold, Jacques Copeau et, je m’en expliquerai plus tard, mes compagnes et compagnons de travail.

Oooooh ! Comme j’ai alors aimé le Japon et les Japonais, et cela pour toujours.

Un jour, avant le retour de Marcel de Corée, désespérée et sous la flotte incessante, j’errais, à pied dans le Tokyo incompréhensible de 1963, le Tokyo qui se préparait à son grand retour pacifique sur la scène mondiale en organisant les Jeux Olympiques qui allaient avoir lieu en 1964 et qui furent un immense succès pour la Ville et le Japon tout entier. Cette préparation consistait, me semblait-il, à détruire tout ce qui ne l’avait pas déjà été par les bombardements américains. Tout ce qui restait de la guerre, ou avait été reconstruit depuis 18 ans du Tokyo ancien, je le voyais, stupéfaite, disparaître de jour en jour. De si beaux quartiers en bois s’évanouissaient, en une nuit. De beaux immeubles du XlXème s’effondraient, eux qui avaient échappé à la destruction guerrière. C’est d’ailleurs ainsi que Ichikawa Kon commence le film magnifique qu’il fut chargé de faire sur ces jeux mémorables. Une énorme boule de béton est balancée contre une façade. Celle-ci tombe, droite, face contre terre, presque en silence, comme un résistant stoïque abattu par un peloton d’exécution.

Depuis, partout dans le monde et dans mon propre pays, je me pose sempiternellement la question : pourquoi, pour progresser, devons-nous vraiment détruire tant de paysages urbains ou naturels si chers aux cœurs de leurs habitants et si précieux à notre harmonie intérieure ? Pour éviter, autant que faire se peut, ce que Georges Orwell appelle “le progrès destructeur”, ne devrions-nous pas user de plus de discernement et d’humilité ? Est-ce réactionnaire de poser la question ? Ne devrions-nous pas réfléchir avant de faire moins beau, moins humainement vivable, plus dévorateur d’énergie et de ressources ?

Je déambulais, je l’ai dit, désespérée et seule en ce Japon qui ne ressemblait pas encore à mes rêves. J’arrivai, mon gros guide touristique détrempé à la main, qui m’indiquait que lui et moi avions probablement atteint, tout à fait par hasard, le temple de Senso-ji, dans le quartier appelé Asakusa. Il y avait effectivement un immense temple devant moi. Mais ma mauvaise humeur me le fit ignorer et je continuai à avancer à travers de petites rues qui, malgré la pluie, étaient très animées. Inconsciemment, je me laissai guider par une musique qui semblait m’appeler jusqu’à, dans une ruelle, l’entrée minuscule et très colorée de ce qui ne pouvait être qu’un théâtre, minuscule, lui aussi.

Mais, d’où jaillissait cette musique, était-elle sonorisée ou pas, je ne me souviens pas, mais c’était très puissant... Mais, bien-sur, qu’il s’agissait d’un enregistrement, puisqu’une fois à l’intérieur...

 


© Inamori Foundation

 

Otaru, 7 septembre

Une fois à l’intérieur, je ne vis qu’un seul acteur. Un jeune acteur. Qui allait, à lui tout seul, donner un sens à mon désespoir japonais, à ma solitude, à la pluie, au déluge, à tout mon voyage. Oh ! Que ne puis-je vous donner son nom, le remercier et devant vous partager le Kyoto Prize avec lui. En un après- midi, ce garçon m’ouvrit les terribles portes du Royaume des acteurs. C’est ce jour-là, dans cette salle minuscule, à demi pleine de vieilles dames attentives et enamourées, et de quelques vieux messieurs impénétrables, que je compris pour toujours ce que c’était qu’un vrai acteur.

Seul en scène au début, les yeux fixés sur un horizon inquiétant parce que, je l’imaginais, peuplé d’une horde d’envahisseurs à cheval approchant rapidement. Il nous parlait, il criait. Je ne comprenais rien mais voyais tout. Son regard affolé me faisait voir les yeux tout aussi affolés des chevaux écumant sous les fouets et leurs sabots soulevant la poussière ou déchirant la prairie, faisant voler des mottes noires comme des bombes. Il alertait le village, c’est sûr, et pour mieux le faire, saisi d’une inspiration soudaine, il traîna sur sa petite scène un immense tambour. Était-ce celui du temple qui sans aucun doute était en coulisse, toujours est-il qu’il se mit à battre un tocsin à faire dresser tous les cheveux de votre assemblée sur vos têtes et à soulever les paysans les plus apeurés ou endormis. Il était le Prince Hal, il était Hotspur, il était Falstaff, Macbeth devant la forêt qui marche, Henry V, il était Shakespeare. Ce jour-là, pour la jeune voyageuse ignorante que j’étais, dans cette misérable petite salle de rien du tout à Asakusa, grâce à un humble acteur japonais, il n’y avait plus ni Japon ni Occident. Il y avait le Théâtre. Universel. Humain et grandiose.

Il était merveilleux ce jeune homme, probablement chef d’une troupe de... ? Dans mon ignorance, j’appelai cela petit Kabuki et ce n’est que beaucoup, beaucoup plus tard, en fait tout récemment, qu’en allant assister à une représentation de la troupe de Daigoro Tachibana, j’appris que ce style se nommait Taishu Engeki qui se traduirait en français par théâtre pour le peuple. Théâtre populaire ! Rendez-vous compte, moi, qui toute ma vie, ai aspiré à faire mériter ce titre magnifique de théâtre populaire au Théâtre du Soleil...

Il y avait eu d’autres illuminations. Avant l’accostage final à Yokohama, le Cambodge avait fait escale à Kobe, où, par un hasard merveilleux, j’avais pu voir le soir, un Nô, en plein air, éclairé par d’immenses brasiers. J’étais retournée à bord, chancelante, foudroyée par la puissance, la splendeur, la majesté d’une telle forme. J’escaladai la petite échelle qui m’avait servi à grimper sur ma couchette depuis un mois dans un état d’exaltation juvénile indescriptible. Un monde merveilleux allait s’ouvrir à moi. Je ne pourrais plus jamais dormir. La rencontre avec l’acteur inconnu d’Asakusa me confirmait cela.

 

Otaru, 8 septembre

La métaphore dont j’usais et use toujours pour parler de la troupe que j’ai fondée en 1964, après ce fameux voyage, était celle du navire, de la barque, de l’esquif. Dont, oui, je l’avoue, je me voyais plus comme le capitaine que comme le mousse, mais dont je savais qu’il ne voyagerait loin que si chaque membre de l’équipage se sentait valeureux, magnifique, épanoui même dans le danger et malgré les sacrifices que, je le savais, cette épopée allait nous demander au début. Au début seulement, croyais-je. Je sais aujourd’hui qu’elle exigera le meilleur et le plus profond de nous-mêmes jusqu’à la fin. Rien n’est acquis. L’amour, l’amitié, le respect du public se cultivent tous les jours.
Un manquement est toujours ressenti comme une trahison, car c’est une trahison, qui efface des années de dévouement et de succès. C’est injuste mais c’est ainsi.

Quand, en 1959, après cette répétition fatidique de Coriolan, au Play House Theater d’Oxford, je monte m’asseoir à l’étage de ce bus rouge n°2 ou 3, fonçant dans la nuit pluvieuse de ce mois de décembre, et que, tremblante autant que lors d’un coup de foudre amoureux, je décide, ou une divinité décide pour moi, que je vais faire du théâtre, il s’agit d’art, bien-sûr, de l’art théâtral que je vais devoir explorer, pratiquer et apprendre tout au long de ma vie, mais il s’agit aussi d’un petit peuple. Un échantillon de monde que je veux créer et réunir autour de moi et entraîner dans cet élan amoureux. Il s’agit aussi de politique, d’exemple, d’utopie. Il s’agit d’un récit minuscule mais fondateur.

Je compris très vite qu’il allait me falloir des compagnes et compagnons très courageux et confiants, car, et Pina Bausch décrit très bien cette même intuition, ici, lorsqu’elle reçoit l’honneur que vous lui fîtes en 2007 : “In the rehearsals I was afraid to say, “I don’t know,” or “Let me see.” I felt obliged to say, “OK, we’ll do this and this.” I planned everything very meticulously but soon realized that (...) I was also interested by completely different things that had nothing to do with my plans. Little by little (...) I gave up planning. Since that time, I have been getting involved in things without knowing where they will lead.”

C’est exactement ce qui m’arriva. Je compris très vite que la position du metteur en scène omnipotent, prévoyant tout et soi-disant totalement maître du sens et de la forme, ne me suffisait pas. Je voulais plus. Je voulais que tous nous profitions du talent de tous. Je voulais que tous nous apprenions les uns des autres. Cela voulait dire traverser des déserts inimaginables. Cela voulait surtout dire que les acteurs allaient entendre une parole terrifiante et insolite dans la bouche d’un, et encore pire, d’une metteuse en scène. Cette parole étant : Je ne sais pas.

Qui n’a pas suivi des répétitions de théâtre ignore probablement l’effroi, la tétanie ou le sauve-qui- peut généralisé qu’un tel aveu peut provoquer chez des acteurs qui n’auraient pas été prévenus de cette possibilité, pour ne pas dire de cette méthode !

 

© Inamori Foundation

 

Otaru, Morinoki, 9 septembre

... Et puis, dès le début, il y avait eu les fées. Les fées à moustache, les fées un peu chauves, les vieilles fées, courbées par l’arthrose, courageuses et visionnaires, issues du Conseil National de la Résistance. Jeanne Laurent. Jean Vilar qui, devant nous trace le chemin lumineux du Théaâtre National Populaire, un chemin artistique, politique, et surtout moral. Le Festival d’Avignon, celui d’alors, le vrai, Paul Puaux.

Arnold Wesker, qui nous donne les droits de La Cuisine. Son plus grand succès. En vérité, son triomphe. Alors que nous ne sommes encore qu’une minuscule troupe de petits amateurs. C’est ce spectacle qui va nous mettre au monde.
Et puis, Paolo Grassi, fondateur avec Giorgio Strehler du Piccolo Teatro di Milano. Il nous y invite. Il nous accueille. Il nous permet d’y triompher avec 1789. Le soir de la première, je le revois encore. Perché sur un des balcons du PalaLido, l’immense stade couvert dans lequel nous jouions. En chemise et en bretelles, avec son ventre tout rond. En sueur, dansant sur la musique de la prise de la Bastille. Si heureux de notre succès. Ah ! Nous lui devons tant.

Dans le si simple et si émouvant discours qu’il fit, ici même, pour la même occasion, Kurosawa Akira dit, en parlant de Jean Renoir et de John Ford, qui soit dit en passant, font aussi partie de mon panthéon, et qui le raccompagnaient un soir, après un bon dîner français, à sa voiture : “What nice people they were, I thought, they were warm-hearted, generous and had the power to embrace people. When I get old, I thought, I want to become like them.”

Même si je les considère de la race des géants, race dont je ne suis pas, moi aussi, je veux être comme eux... quand je serai vieille.
Car nous avions besoin de ces gens au cœur chaleureux et sans crainte, capable de nous accueillir. Capables de nous embrasser, parce que sans crainte. Ils ne nous voyaient pas comme des rivaux encombrants, mais comme leurs enfants ou leurs petites sœurs ou petits frères. Et les jeunes créateurs d’aujourd’hui ont les mêmes besoins, eux à qui on répète tous les matins qu’ils sont trop, en trop, trop nombreux, trop chers, pas assez rentables. Que leur modèle économique est irréaliste, voire nocif, à notre époque. De quel modèle économique la société d’aujourd’hui peut-elle donc être si fière, alors que de l’Irak au Chili les peuples, contre lui, se soulèvent, pour prétendre l’imposer à de petites bandes d’artistes qui veulent, eux, pratiquer un modèle moins pathologique, moins destructeur des âmes et des corps.

 

Otaru, 10 septembre

J’écris, à grand peine, ce discours pendant que des nouvelles m’arrivent d’Europe, ou, plutôt que je vais fébrilement les chercher. Le Brexit. Des salopards continuent leurs manipulations assassines. La Grande-Bretagne, la mère des démocraties, est ébranlée par un clone du président actuel des États- Unis d’Amérique. Le démagogue ignare, qui dirige le pays le plus puissant du monde, a trouvé son petit double anglais, moins ignare, mais aussi forcené, grossier, menteur. Et tous les deux s’acharnent à coups de mensonges, de cynisme, d’irrespect des lois de leur propre pays ou du monde, non seulement à démembrer le Royaume-Uni, mais à saper l’Europe, une des plus étonnantes réalisations politiques de l’histoire des hommes. Imparfaite encore, certes, mais extraordinaire.

Je vous en prie, permettez-moi ce qui peut vous paraître une digression inutile, au Japon, en l’occasion d’aujourd’hui, mais qui est inévitable pour une femme de théâtre, dont la source n’est rien d’autre que le monde qui nous entoure.
Comment ne pas saluer la volonté inébranlable, titanesque de quelques grands hommes, de tous bords politiques, anciens ennemis jurés, qui, après les deux guerres qui fracassèrent le monde et le XXème siècle, surent brider, bâillonner, enfouir les haines anciennes et accomplir cette œuvre géante : L’union de 28 pays parlant 24 langues : allemand, anglais, bulgare, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, grec, hongrois, irlandais, italien, letton, lituanien, maltais, néerlandais, polonais, portugais, roumain, slovaque, slovène, suédois et tchèque, sans compter quelque 60 langues régionales. Grands et petits royaumes, empires, duchés, républiques qui, pendant deux millénaires, n’avaient eu de cesse que de s’envahir, de s’étriper, et de se martyriser les uns les autres contre tout intérêt réel des peuples, contre toute compassion et sagesse humaine, avaient, enfin, très laborieusement, et, je le répète, très imparfaitement, commencé à réfléchir ensemble à la paix des peuples européens, c’est-à- dire, en partie, à la paix du monde

Et, pendant que je tente d’écrire le message que j’ai promis d’écrire, dans la douce petite ville d’Otaru, sur Hokkaido, deux clowns délinquants s’étant, éphémèrement, saisis de l’outil si noble mais si fragile de la Démocratie, prétendent s’en servir pour ajouter aux maux de l’Univers et redéchirer ce que le Temps aidé d’hommes et de femmes sages avait su recoudre.

 

Otaru, 11 septembre

Attention ! Ne pas se laisser détourner de mon message. De l’étoffe dont nous sommes faits. De tous ceux à qui, outre l’acteur de Asakusa, vous avez donné, sans le savoir, ce Prix que je reçois aujourd’hui. Dans mon adolescence, il y eut d’abord le cinéma. Paris où j’ai eu la chance de vivre dès 1948 était, est encore, une ville cinéphile. Tous les films y passaient. Et en version originale. Ce qui est le vrai signe de l’amour du cinéma et des acteurs. Comme je le disais, il y eut Renoir, John Ford, Georges Cukor, Capra, Minnelli, Hitchcock, Stanley Donen, Gene Kelly, Griffith, Lilian Gish dans Le Lys Brisé, et dans Le Vent de Victor Sjöström, il y eut La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Il y eut Vittorio de Sica, Rossellini, Visconti, et puis, déflagrateurs, L’Intendant Sansho, Les Contes de la Lune Vague après la Pluie, Les Amants Crucifiés, bref, il y eut un des grands empereurs du cinéma mondial, Mizoguchi Kenji. Puis l’autre empereur, Satyajit Ray, l’Indien, avec La Complainte du Sentier, Le Monde d’Apu, Le Salon de Musique, puis déferlèrent Les Sept Samouraïs, Kagemusha, et tout Kurosawa. Mais lui, dieu merci, vous l’avez distingué, à temps. Il y eut un astre à part, Charlie Chaplin. J’ai puisé dans ces trésors, sans scrupules, consciemment ou inconsciemment. Un peu comme tous les dramaturges immenses ou communs, ont puisé goulûment dans le banquet homérique, puis dans Eschyle, puis dans Shakespeare, puis dans la commedia dell’arte, puis dans Molière, puis dans Tchekhov, puis dans Meyerhold, puis dans Brecht. Il y a Victor Hugo, il y a Dickens, il y a Chikamatsu Monzaemon pour tous les maîtres de Bunraku et de Kabuki, il y a Dostoïevski bien-sûr, il y eut Orwell, il y eut Vie et Destin de Vassili Grossman, pour moi, le plus grand livre du XXè siècle et, il y a, je suppose, pour vous, avec qui je parle ce soir, beaucoup d’autres, que, dans l’émotion, j’oublie aujourd’hui, ou qui me sont inconnus, ou, par ignorance, indifférents. Ce sont des hommes sources, des hommes océans. Nous, les petits nains qui nous baignons dans leurs eaux généreuses et vivifiantes, nous sommes leurs débiteurs éternels.

 

© Inamori Foundation

 

Otaru, Morinoki Hostel, 12 septembre

Je me réveille ce matin sans courage ni inspiration. Alors que je ne suis que dettes, je sais que j’ai déjà omis des femmes et des hommes, célèbres ou humbles, qui ont eu une influence sur mon destin et donc sur celui de mes proches, et donc sur mon travail. Travail que vous couronnez aujourd’hui. J’ai déjà failli oublier Jacques Lecoq. Je vais en oublier d’autres... Dullin, Jouvet... mon Dieu qui d’autre encore...

Il faudrait que nous soyons capables d’un discernement quotidien surhumain pour pouvoir noter chaque soir, dans un cahier sacré, le nom des fées bienveillantes ou des anges gardiens salvateurs rencontrés ce jour-là. Et ce, bien avant même de savoir écrire. Pour moi, je pense qu’ils furent innombrables, dès mon enfance. Depuis le policier français qui, pendant l’occupation de la France par l’armée nazie, n’a pas rempli le formulaire que lui fournissait la Gestapo pour retrouver June Hannen, ma mère, Alexandre Mnouchkine, mon père, et “l’enfant Ariane”, jusqu’à Mademoiselle France, institutrice, hors cadre, hors système, qui m’apprit à lire en faisant de cet apprentissage une traversée enchantée, quotidiennement furieusement désirée. Je pleurais de rage quand on ne m’envoyait pas à sa petite école. Elle inaugura une lignée de quelques professeurs merveilleux dont les ombres sont ici, aujourd’hui, pour recevoir ce Prix, avec moi.

Sur ce cahier sacré, je devrais pouvoir vous dire toutes celles et tous ceux qui par leur aide, leurs exemples, leurs réprimandes ou critiques légitimes et amicales m’ont rendue meilleure ou, en tous cas, moins mauvaise.
Toutes celles et ceux qui, par leurs combats, leur héroïsme, parfois, leur mort, m’ont enjoint d’avoir le petit courage de ne dire que ce que je pense vraiment et de n’emboîter le pas ni céder à aucun dogme, fut-il entonné par des milliers et soutenu par des millions, tant que je n’étais pas absolument sûre que telle était ma conviction morale profonde. Toutes celles et ceux qui ont paré des coups qui m’étaient destinés. Toutes celles et ceux qui m’ont gratifiée d’un sourire, d’un regard confiant, d’un compliment sincère. Toutes celles et ceux avec qui j’ai ri de moi, de nous, sans crainte et sans reproche. Rire de nous-même, ensemble. Signe irréfutable de l’amitié.

Et, vous savez quoi ? Toutes celles et ceux qui nous ont donné ou prêté de l’argent. Oui, de l’argent. Ce fluide qui circule dans les veines de tous les systèmes de production. Et cela, que nous le voulions ou non, pour un bon moment, encore. Peut-être devrais-je dire, pour encore un mauvais moment. Bref, au cours de ces 55 ans d’existence, des gens nous ont donné de l’argent. Ils doivent savoir que nous savons que dans ces circonstances, leur argent représente quelque chose de bien plus noble que lui- même. Il représente leur respect, leur compréhension, leur amitié, parfois même leur amour. Et surtout, comme ce Kyoto Prize, il nous met au défi de faire mieux.

Et cela me mène à vous parler de mes grandes rencontres vivantes. Je vous disais un peu plus tôt — (regarde l’heure) — mon message a déjà duré ... minutes. C’est long...

 

Otaru, Morinoki Hostel, 23 septembre

Je vous disais plus tôt que je considérais le groupe de mes collègues de travail comme un de mes maîtres. Ils furent mes plus sévères et affectueux garde-fous et ils le sont toujours. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que je ne sais pas, ils savent que dans les diverses obscurités que traverse notre aventureuse smala, ma petite lanterne de chef caravanier est intuitive, certes, perspicace souvent, mais éteinte parfois. Dans ces cas-là, que ne ferait-on pas pour avancer quand-même ? Quand le chemin intérieur semble bouché, comme il est tentant d’user de l’habileté histrionesque acquise et de passer par l’extérieur, par le semblant, le faux semblant, par la réplique qui tape, la scène qui cogne. Ou, pire encore et beaucoup plus fréquemment, par cette rouerie cérébrale, virtuose en dérobade, qui prétend déguiser l’impuissance en intelligence, le vide en profondeur et faire passer du rien pour du nectar intellectuel.
De cela, je fus préservée, d’abord par mes gou?ts naturels, qui sont simples, certains les disent naïfs, mais aussi et surtout par les sourcils froncés et les regards incrédules de mes amis comédiennes et comédiens, à la moindre glissade de ce genre que j’aurais eu la mauvaise idée de m’autoriser.

Jamais, ils ne me laisseront oublier le courage qu’il faut pour prendre le théâtre de front.
Aucun sommet, même de l’Himalaya, n’est déclaré atteint tant qu’il n’a pas été conquis par sa face la plus raide. Le théâtre du peuple se prend frontalement. Par sa face la plus raide. Théaâtre ou pas théâtre, that is the question. Et pour tous, la réponse est visible, audible, sensible, pour ne pas dire sensuelle, concrète pour tous. Il faut du courage, du souffle, beaucoup d’humilité, de la patience et des mollets. Je veux dire un corps respecté et reconnu comme outil majeur de l’art de l’acteur.
Oui, bon, tout est cela est bien bon, mais comment... comment vous parler... de celles et ceux qui ont fait ma vie et la font encore ? Comment vous les présenter autrement que par l’abstraction sèche d’une liste de noms ? Car, une fois nommée Hélène Cixous, une immense écrivain, en quoi vous aurai-je éclairés sur la profondeur de notre relation dans la vie et dans l’art qui, pour nous, sont mêlés ? Que saurez-vous de plus sur la dette incommensurable que j’ai envers elle qui m’a tant appris et m’apprend encore ? Une fois nommé Jean-Jacques Lemêtre, un immense musicien de théâtre, que saurez-vous de plus sur le rôle essentiel, fondamental, que tient sa musique depuis 40 ans dans mon travail ? Une fois nommés Martine Franck, Guy-Claude François, Erhard Stiefel, Charles-Henri Bradier, que saurez- vous de plus sur ce que je leur dois ? Une fois nommée Juliana, mon épouse, que saurez-vous de plus sur ce qu’elle est pour moi ?
Cette tribu, cet équipage, cette famille turbulente, cette petite galaxie du Soleil, composée comme toute galaxie, de grands astres lumineux, de planètes plus modestes, de lunes, de comètes, et même de météores, comment vous faire partager l’estime, l’amour et la reconnaissance que je ressens pour elle ? J’aimerais que vous connaissiez au moins leurs visages. Certaines, certains, les fidèles, vous verrez, on voit le temps passer dans leurs cheveux et sur leurs fronts. Certaines... certains ne sont plus de ce monde terrestre... Il y a aussi certains de nos enfants qui grandissent de spectacle en spectacle. Mesdames et messieurs, permettez-moi de vous présenter ceux à qui vous avez décerné le Prix Kyoto pour les Arts et la Philosophie 2019, le Théâtre du Soleil.