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Guetteurs & tocsin

  • Guetteurs et tocsin
  • Publication du 27/12/2022

Iran : des visages et des noms fauchés par la répression

 

Pour mater la contestation, l’Iran condamne certains de ses manifestants à mort. Ils sont douze pour l’instant, dont deux ont déjà été exécutés. « Libération » dresse leur portrait.

 

Sahand, Manouchehr, Mohammad, Hamid… les visages de la répression inique de la contestation iranienne, condamnés à mort ou déjà exécutés. (DR)

 

par Léa Masseguin, Hala Kodmani et Tom Dufreix

Sahand, Manouchehr, Mohammad, Hamid… Ces Iraniens, pour la plupart âgés de moins de 30 ans, font partie des dizaines d’individus qui risquent d’être exécutés dans le cadre de la révolte qui secoue la République islamique depuis la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre. Douze hommes sont déjà pendus ou identifiés par Amnesty International comme étant dans les couloirs de la mort, condamnés à la peine capitale après des procédures judiciaires jugées « inéquitables » et « expéditives » par de nombreuses ONG. Libération a décidé de publier les portraits de onze d’entre eux, le douzième n’ayant pas pu être identifié.

Mohsen Shekari, exécuté
Il est le premier manifestant exécuté depuis le début du soulèvement. A seulement 23 ans, Mohsen Shekari a été pendu par les autorités iraniennes juste avant le lever du soleil, le 8 décembre, après un procès jugé « grossier »et « injuste » par de nombreuses organisations de défense des droits humains.
Le jeune homme, qui travaillait dans un café de Téhéran, a été reconnu coupable le 1er novembre par un tribunal révolutionnaire d’« inimitié à l’égard de Dieu » (« moharebeh » en persan). L’agence de presse judiciaire Mizan a rapporté que Mohsen Shekari avait bloqué une rue de Téhéran le 25 septembre et utilisé une arme pour attaquer un membre de la milice Bassidj, une force paramilitaire déployée pour réprimer les manifestations. Son appel du verdict a été rejeté trois semaines plus tard. « Il a fallu soixante-quinze jours entre l’arrestation de Mohsen Shekari et son exécution, note l’ONG Iran Human Rights (IHR). Il s’est vu refuser l’accès à son avocat tout au long de la phase d’interrogatoire ou de la procédure judiciaire. »
Ses aveux forcés ont été diffusés quelques heures après son exécution. Sur les images, son visage est tuméfié. Selon le collectif d’opposition collectif 1500 tasvir, la famille de Mohsen Shekari n’a pas été prévenue de son exécution. Sur les réseaux sociaux, une vidéo montre sa mère hurler dans la rue, incapable de marcher, en apprenant la mort de son fils.

Majid Reza Rahnavard, exécuté
Majid Rahnavard, 23 ans, a été exécuté le 12 décembre à l’aube, quatre jours après Mohsen Shekari. La vidéo glaçante du jeune militant pendu à une grue sur une place publique de Machhad a été largement diffusée sur les réseaux sociaux, sans doute par les proches du régime, pour l’exemple. Après son arrestation le 19 novembre, les autorités iraniennes avaient publié deux vidéos montrant un jeune homme attaquer au couteau deux gardiens de la révolution au cours d’une manifestation. Accusé de la mort des deux bassidjis, Majid Rahnavard a lui aussi été condamné pour « moharebeh », ce qui lui a valu la peine capitale. « Aucune des vidéos prises par des caméras de surveillance, selon les services iraniens, ne montre l’apparence de l’auteur du crime », indique l’IHR.
L’organisation iranienne de droits humains souligne que Majid Rahnavard « n’a pas eu le droit de désigner un avocat de son choix et qu’il a subi des tortures et été soumis à des aveux forcés ». Il avait exprimé « ses regrets pour ses actes et affirmé reconnaître que les protestations étaient une erreur », selon des déclarations extorquées par les autorités. Exécuté deux semaines après sa condamnation à l’issue d’un procès expéditif, il a été enterré aussitôt après sa mort. La famille du jeune homme a été informée du lieu de sa sépulture en même temps que de sa mort par téléphone. « Elle a été interdite d’organiser une cérémonie pour son fils et de voir son visage pour une dernière fois », indique l’IHR.

Sahand Nourmohammad-Zadeh, condamné à mort
Originaire de Téhéran, Sahand Nourmohammad-Zadeh est un athlète médaillé d’haltérophilie. Il a été arrêté le 23 septembre au niveau de la voie rapide d’Ashrafi Esfahani dans la capitale. Incarcéré au grand pénitencier de Téhéran, connu pour ses conditions de vie inhumaines, il est accusé d’avoir détruit des barrières de sécurité d’autoroute et incendié des poubelles et des pneus dans le but de « perturber la paix et l’ordre et de s’opposer à l’Etat islamique ». Le tribunal a jugé que ces accusations constituaient une « inimitié à l’égard de Dieu ». Dans un fichier audio enregistré en prison et rendu public le 8 décembre, Sahand Nourmohammad-Zadeh a déclaré avoir été maintenu à l’isolement pendant environ une semaine après son arrestation et avoir subi une immense pression psychologique afin de le forcer à avouer les faits, selon Amnesty International.

Manouchehr Mehman-Navaz, condamné à mort
Manouchehr Mehman-Navaz a été condamné à mort « de manière expéditive », deux semaines seulement après le début de son procès, le 29 octobre, selon Amnesty International. L’homme à la barbe grisonnante est accusé d’« inimitié à l’égard de Dieu » pour avoir incendié un bâtiment gouvernemental à Gharchak, dans la province de Téhéran, « dans l’intention d’affronter l’Etat islamique ». Les autorités iraniennes ont demandé que l’exécution de Manouchehr Mehman-Navaz ait lieu en public, sur le lieu de l’incendie criminel présumé.

Mohammad Boroughani, condamné à mort
A seulement 19 ans, Mohammad Boroughani a été arrêté dans la ville de Pakdasht, à 50 kilomètres au sud-est de Téhéran. Le jeune homme aurait brandi une machette, mis le feu au bâtiment du gouverneur et blessé un agent de l’Etat. Il a été condamné à mort pour « inimitié à l’égard de Dieu » au terme d’une procédure « qui ne ressemblait en rien à un véritable procès judiciaire », regrette Amnesty International. Il a été jugé aux côtés d’au moins cinq autres individus, dont Mohammad Ghobadlou et Saman Seydi (ci-dessous). Les autorités ont transféré Mohammad Boroughani dans la prison de Rajaei Shahr à Karaj, dans la province d’Alborz, laissant craindre que son exécution soit imminente.

Mohammad Ghobadlou, condamné à mort
Arrêté le 22 septembre, Mohammad Ghobadlou, 22 ans, a été condamné à mort pour avoir renversé des policiers avec une voiture, faisant un mort et plusieurs blessés, il a aussi été accusé de « corruption sur la Terre ». Le jeune homme serait bipolaire, selon des documents médicaux publiés par la BBC en Persan. Habitant de Téhéran, cet ancien étudiant désormais barbier aurait été torturé en prison selon Amnesty International, qui se dit « sérieusement inquiète » sur son sort. Le 1er novembre, la mère de Mohammad Ghobadlou a publié un message vidéo affirmant que les autorités avaient interdit à son fils de recevoir des visites et qu’elles refusaient de lui donner ses médicaments.

Saman Seydi, condamné à mort
Saman Seydi est un chanteur-compositeur issu de la minorité kurde d’Iran, persécutée par le régime. Soutien populaire des manifestations, il a écrit des morceaux en solidarité avec les protestataires. Arrêté le 2 octobre, il est d’abord incarcéré à la prison d’Evin à Téhéran, avant d’être soudainement transféré à celle de Rajaei Shahr. L’artiste est condamné le 29 octobre à la peine de mort par la 15e chambre islamique de Téhéran à la suite d’un procès expéditif. Il est accusé d’avoir tiré en l’air avec une arme à feu et d’avoir provoqué un « rassemblement pour commettre des crimes contre la sécurité nationale ». Son avocat n’a cependant jamais eu accès au dossier d’instruction et les autorités n’ont jamais retrouvé l’arme supposée du manifestant.

Sayed Mohammad Hosseini, condamné à mort
Le 5 décembre, le tribunal révolutionnaire de Karaj, dans la province d’Alborz, a condamné à mort ce jeune manifestant après l’avoir reconnu coupable de « corruption sur la Terre » après l’agression mortelle d’un agent du Bassidj lors de manifestations organisées environ un mois plus tôt, le 3 novembre. Le tribunal l’a condamné le 30 novembre, moins d’une semaine après le début d’un procès collectif inéquitable et accéléré. Quatre autres coaccusés ont également été condamnés à mort dans le cadre de la même affaire. Les autorités n’ont pas révélé leurs noms mais les informations recueillies par Amnesty indiquent qu’il s’agit de Hamid Ghare-Hasalou, Mohammad Mehdi Karami, Hossein Mohammadi (ci-dessous), ainsi qu’un individu non identifié.

Hamid Ghare-Hasalou, condamné à mort
A 53 ans, Hamid Ghare-Hasalou, est un médecin qui a souvent pris part à des actions en faveur des plus démunis. Originaire de Turquie, il a été arrêté avec sa femme alors qu’ils se rendaient aux funérailles d’un manifestant à Karaj, dans la province d’Alborz. Accusé lui aussi d’avoir pris part à l’organisation du meurtre d’un bassidji, Hamid Ghare-Hasalou est incarcéré depuis le 4 novembre. Les autorités l’ont torturé pour lui extorquer des « aveux » forcés, indique Amnesty. L’homme, qui a des côtes cassées et des difficultés à respirer, a subi trois opérations chirurgicales. Il a été jugé alors qu’il était toujours sous sédatif puis condamné à mort, le 5 décembre, déclaré coupable de « corruption sur la Terre ».

Mohammad Mehdi Karami, condamné à mort
Issu d’une famille ouvrière, Mohammad Mehdi Karami, 22 ans, a également été arrêté à Karaj pour le meurtre d’un bassidji lors de manifestations du 3 novembre, puis condamné à mort après avoir été déclaré coupable de « corruption sur la Terre ». Dans une vidéo publiée ce lundi sur les réseaux sociaux, son père le décrit comme un champion de karaté, membre de l’équipe nationale et ayant gagné des compétitions et s’adresse directement au pouvoir judiciaire : « Je vous implore, s’il vous plaît, d’annuler la peine de mort dans le cas de mon fils. » Le 12 décembre, son père avait déjà pris la parole et expliqué que les autorités n’ont pas autorisé l’avocat de la famille à accéder au dossier du jeune condamné : « Chaque nuit, je suis terrifié à l’idée qu’ils me disent que mon enfant a été exécuté. Ils pourraient l’exécuter d’une minute à l’autre. »

Hossein Mohammadi, condamné à mort
Ces derniers jours, on redoutait l’imminence de l’exécution de cet artiste et acteur de théâtre de 26 ans. Arrêté lui aussi le 3 novembre, il a été condamné à mort en même temps que ses quatre autres co-accusés. Une condamnation qui a suscité une mobilisation internationale, notamment parmi les comédiens. L’actrice française Juliette Binoche, notamment, a posté une vidéo du jeune acteur et écrit : « Non aux exécutions en Iran. Non à la peine de mort. »

Libération, 20 décembre 2022

 

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