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Notes de répétition (extraits des notes magellaniques)

Tout petit inventaire

D’après les notes de répétitions d’Ariane Mnouchkine retranscrites puis choisies par
Charles-Henri Bradier.

J’adore le cinéma. Un jour peut-être, dans un de nos spectacles, il y
aura du cinéma, un personnage qui ira au cinéma ou regardera des
images cinématographiques.Mais il ne s’agit pas d’essayer de rivaliser
avec le cinéma. […] Je fais du théâtre, j’aime le théâtre. Si un jour le
cinéma est sur scène, si un jour des personnages regardent un écran,
celui-ci ne restera sur le plateau que s’il devient théâtral et si le cinéma
joue comme un acteur de théâtre (Béatrice Picon-Vallin, « Une œuvre
d’art commune », Rencontre avec le Théâtre du Soleil, mars 1993,
Théâtre/Public, n° 124/125, 1995).


LES ORIGINES (18 MARS)
Nous allons plonger dans l’eau noire, dans la tempête, à la recherche
de notre travail, de notre œuvre, de notre spectacle. C’est un moment
très important, où tout est mis à l’épreuve, notre patience, notre
solidité devant les ignorances…

UNE CONQUÊTE (24 MARS)
Comme c’est difficile, et comme cela vaut la peine. […] Ce qui
m’inquiète là-dedans, pour vous, pour nous, c’est la difficulté. Mais
il y a aussi une splendeur indéniable. […] Pourquoi sommes-nous là ?
Nous cherchons cet équilibre entre une fiction enfantine, en tout cas
de jeunesse, et une vérité. C’est cette poésie au fond. Pour que tout
reste poétique, émouvant, vrai, juste, que cette histoire invraisemblable
nous paraisse absolument vraie.

FAIRE UN JULES VERNE (4 AOÛT)
Nous ne faisons pas un Shakespeare, ni un Tchékhov, nous faisons
un Jules Verne, nous faisons une épopée où les personnages sont là
pour raconter une histoire. C’est leur faiblesse et c’est leur force.
Il y a une innocence. […] Quand je vois ces mots et ces êtres dans
un bateau de bric et de broc avec de la neige en papier, je vois tout le
début du XXe siècle. Ces gens si simples, si populaires, si confiants dans
l’art du cinéma, et nous dans l’art du théâtre, comment osent-ils
lancer des boules de neige en papier avec une soie levée sur des poulies
pour faire une tempête ?

UN SPECTACLE POLITIQUE (25 AOÛT)
Je pense qu’actuellement le spectacle le plus politique qu’on
puisse faire, c’est un spectacle qui rende un peu d’enthousiasme, de
clarté, d’espoir en l’être humain. Il n’y a rien d’autre à dire que cela
aujourd’hui, et oui, c’est du corps. […] Et oui, c’est idéaliste. J’espère
que nous donnerons à partager beaucoup d’émotion à l’évocation
de ces idéaux non réalisés. […] Parfois on a le droit à du délire, à une
loufoquerie joyeuse, mais pas à de l’insensé. Au fond, il y a toujours
du sens, un objectif, un désir. […] Chaque rire devrait être un rire
de reconnaissance.

LE COURAGE DE LA JOIE (25 AOÛT)
C’est dans le corps, et dans le cœur, et jamais dans la tête. Ce qu’on
dit dans ce spectacle est tellement simple, tellement rêveur, ce qui
ne veut pas dire que ce n’est pas complexe, parce que je pense que
le courage de la joie est très complexe.

LA POÉSIE FURIEUSE (9 DÉCEMBRE)
Vous savez que c’est beau, quand les corps sont là. La façon dont le
cœur est dans la bouche, les yeux sont pleins de sang, comme si on
devait trouver la métaphore de la création artistique. Si on devait
travailler sur Pasteur, Fleming ou Einstein, sur leur quête, on aurait
la même chose dans le corps. Sans ce corps, on n’a pas ce tumulte
intérieur. C’est orgasmique, et Jean Vilar le disait ça, il y a des
répétitions où nous ressentons l’orgasme de l’esprit. Il y a quelque
chose de tellement donné et tellement désirant, il faut que vous
le compreniez, ce n’est pas de l’expression corporelle, c’est de la
métaphore vivante, charnelle à chaque instant.


"Notes de répétitions - Les Naufragés du Fol Espoir", L'avant-scène théâtre, n° 1284-1285 - 1er juillet 2010, pp. 74-78.