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Guetteurs & tocsin

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  • Publication du 12/10/2020

Mort du chanteur et compositeur Mohammad-Réza Shajarian

 

 

Le Monde avec AFP - 9 octobre 2020

Le chanteur et compositeur Shajarian, monument de la musique traditionnelle iranienne, est mort

L’annonce de la mort de l’artiste, souvent critique vis-à-vis des autorités, a provoqué un important rassemblement à Téhéran.

Il était un monument de la musique traditionnelle iranienne. Le chanteur et compositeur Mohammad-Réza Shajarian est mort, jeudi 8 octobre, à l’âge de 80 ans. La mort de l’artiste, dont les relations avec les autorités étaient tendues, a provoqué tristesse et émotion dans son pays.

Très vite après l’annonce de la mort de l’Ostad (« Maître », en persan), des milliers d’admirateurs de tous âges ont convergé vers l’hôpital Jam de Téhéran, où le chanteur avait été admis quelques jours plus tôt dans un état critique. Oubliant les règles de distanciation sociale liées à l’épidémie de Covid-19, la foule a chanté en boucle et à l’unisson Mogh-é Sahar (Oiseau de l’aube), chanson historique par laquelle Shajarian finissait tous ses concerts.

Quelques slogans plus politiques, rapidement contenus, ont été scandés, comme « Les dictateurs meurent, Shajarian ne meurt jamais », ou encore « Honte, honte à notre télévision publique », mais sans vraiment troubler une atmosphère recueillie rendant hommage à une figure éminemment populaire. En milieu de soirée, ils étaient encore des centaines à chanter devant l’hôpital.

La diffusion des œuvres de Shajarian est interdite sur les ondes de l’audiovisuel d’Etat depuis la prise de position résolue du chanteur en faveur des manifestants lors de la répression en 2009 de la contestation contre la réélection du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad. La chaîne d’information de la télévision d’Etat a annoncé la mort du musicien, rappelant son parcours artistique, mais sans faire entendre le son de sa voix.

Le président Hassan Rohani, un modéré qui n’a jamais caché son admiration pour le défunt, a adressé un message de condoléances à sa « famille et à ses admirateurs », saluant un « artiste aimable », créateur de mélodies « éternelles », dont « la nation reconnaissante gardera toujours vivants le nom, la mémoire et les œuvres ».

Atteint d’un cancer depuis plusieurs années, Mohammad-Réza Shajarian « a volé à la rencontre de son bien-aimé (Dieu) », a sobrement écrit son fils, Homayoun Shajarian, sur son compte Instagram. Sur les réseaux sociaux, son décès a suscité d’innombrables commentaires attristés.

« Le maestro Shajarian était vraiment un immense ambassadeur de l’Iran, de ses enfants et, par-dessus tout, de sa culture », a réagi le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, sur Twitter, en présentant ses « plus profondes condoléances aux Iraniens dans le monde entier, et en particulier à ses proches ».

Chanteur, instrumentiste et compositeur engagé, Mohammad-Réza Shajarian a incarné plus que tout autre pendant un demi-siècle la musique traditionnelle et classique iranienne, à l’étranger comme en Iran. Véritable monument national dans son pays, il a néanmoins entretenu des relations difficiles avec les autorités de Téhéran tout au long de sa longue carrière, d’abord sous le règne du Chah, puis sous le régime de la République islamique.

Lors de la contestation de 2009, il avait sorti une chanson, Zaban-é Atache (Langage du feu), dans laquelle il lançait un « Laisse ton fusil à terre mon frère », compris immédiatement comme un message adressé aux forces paramilitaires qui tiraient sur les manifestants. L’artiste avait alors assuré que ses chansons avaient toujours un rapport avec la situation politique et sociale du pays, même lorsqu’il chantait les poèmes lyriques de Hafez ou Rumi, deux des plus grands poètes de langue persane.

Mohammad-Réza Shajarian s’est souvent montré très critique à l’égard d’une République islamique qu’il avait un jour accusée d’être opposée « à l’idée même de l’identité persane des Iraniens » et de vouloir leur imposer une « identité musulmane ». Mais sa mort semble effacer l’espace d’un instant ces clivages, l’agence de presse Fars, proche des ultraconservateurs, lui rendant hommage en titrant : « L’oiseau de l’aube s’est tu ».

S’adressant à la foule, Homayoun Shajarian a demandé aux Iraniens de se disperser pour ne pas être exposés au Covid-19. Mais il s’est fait huer en annonçant que son père serait enterré à Machhad, ville sainte chiite du Nord-Est, d’où le chanteur était originaire, certains réclamant que le corps reste dans la capitale.

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